Scientist rebellion : “On est en train de monter un groupe nantais” | Les Autres Possibles

Scientist rebellion : “On est en train de monter un groupe nantais”

Eliane fait partie des quelques scientifiques nantais·es qui ont rejoint la branche française du mouvement international Scientist Rebellion. Ensemble, ils espèrent développer le groupe et ses actions à Nantes.

Article publié le 20 juin 2023
Par Anouk Vassal
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Face à la situation écologique, de plus en plus de scientifiques choisissent de sortir de leurs laboratoires pour entrer sur la scène militante : c’est le cas de Eliane, chercheuse en biologie médicale depuis une dizaine d’années au CHU de Nantes. La jeune femme fait partie des quelques scientifiques locaux qui ont rejoint le mouvement Scientist Rebellion et sa branche française*. “Pour l’instant, le groupe nantais est en formation. À ce jour, nous sommes deux mais je remarque que de plus en plus de personnes sont intéressées. On est dans cette phase où l’on se rencontre et où l’on réfléchit à ce que l’on pourrait faire à l’échelle locale”.

Fondé en 2020 en ÉcosseScientist Rebellion réunit des ingénieur·es, chercheur·euses, et étudiant·es de toutes disciplines – écologie, physique, psychologie, etc. – qui ont en commun la culture scientifique, une conscience du dérèglement climatique et, surtout, la volonté d’agir collectivement. Les actions de désobéissance civile menées par le groupe ne visent pas seulement la médiatisation mais souhaitent également apporter des connaissances et de la méthode pour comprendre le dérèglement climatique. En avril dernier, a eu lieu la toute première action nantaise du groupe, qui s’inscrivait dans la campagne Statue Sunday qui vise à souligner le désintéressement des politiques pour le 6ème rapport du GIEC, sorti quelques jours auparavant. Les scientifiques ont ainsi bandé les yeux des statuts dans différentes villes. À Nantes, le groupe a par exemple bandé ceux de la statue d’Anne de Bretagne, située devant l’entrée du château des ducs, avec cette pancarte associée : “Dites la vérité, écoutez le rapport du GIEC”. Une action simple à monter, et sans violence, qui a donné envie à d’autres de les rejoindre.

Eliane ne milite pas de cette façon depuis toujours, c’est la pandémie de covid qui a fait évoluer son engagement. Après des lectures permises par les confinements, et une prise de conscience de l’ampleur de l’impact de l’humain sur la planète – au point de provoquer des pandémies – elle décide d’aller plus loin : “J’avais le sentiment d’être arrivée au bout de mes possibilités d’actions personnelles, et j’en ai conclu que ce ne serait pas ça qui pèserait dans la balance et permettrait le changement, à la fois de ce que l’on est en train de vivre, et des scénarios vers lesquels on s’oriente”. En automne dernier, elle passe un cap : comme une soixantaine de scientifiques venu·es de toute l’Europe, elle se rend à Berlin pendant 5 jours pour participer à une série d’actions menées dans plusieurs villes d’Allemagne et proposées par Scientist Rebellion. La jeune femme intervient par exemple lors du congrès de l’OMS, pour souligner le lien entre crise écologique et crise sanitaire, en placardant sur les murs des articles scientifiques qui alertent sur l’état du réchauffement climatique. Une action qui souligne ce qui lui plaît dans ce mouvement : mettre en avant la science, et la concrétiser. Certains des auteurs de ces articles étaient d’ailleurs présents : “c’est donc particulièrement direct comme action. Les personnes qui écrivent sont aussi celles qui viennent prendre position”.

Comme elle l’explique, sa prise de risque à Berlin était modérée. Dans d’autres villes et sur d’autres projets menés en Allemagne dans cette période, les risques juridiques peuvent être plus importants. À Munich notamment, où la loi est plus stricte, le but était d’aller jusqu’à la garde à vue parce que cela permet de faire parler : “Une dizaine de scientifiques qui partent en garde à vue, c’est une image forte”. De manière générale, les actions du groupe sont menées pacifiquement. Il est également possible d’y participer moins directement, et sans porter la blouse : soutien moral, hébergement, nourriture… Se joindre à ce type de manifestation est aussi une façon pour la scientifique de dépasser l’angoisse de l’inaction et de se motiver à agir : “À Berlin, il y avait toute une palette d’émotions : de la colère, de l’énervement, mais aussi de la joie. Les gens étaient aussi contents d’être ensemble. C’était impressionnant de voir le nombre de personnes prêtes à se déplacer et se mettre en danger pour se faire entendre”.

Et la “neutralité scientifique” dans tout ça ? Une illusion, pour la scientifique. “Rester neutre ne me parait pas possible et ne rien faire me parait un peu fou. La neutralité est illusoire parce que l’on part toujours de quelque part, nous sommes façonnés par notre milieu social, notre éducation, nos études. Très peu de choses sont neutres, finalement. Demander aux scientifiques d’être déontologiquement neutres me parait inaccessible”. L’engagement de la jeune femme ne se résume pas à ses actions dans l’espace public, elle interroge aussi ses propres pratiques : “je me questionne sur la viabilité de mes recherches sur le long terme, est ce que dans 15 ans ce que je fais sera toujours utile et utilisable ? Elle intervient également au sein de son laboratoire au CHU de Nantes, à travers la démarche Green Lab, où elle travaille avec un petit groupe à réduire l’utilisation de plastique, matériaux et énergies, pour diminuer l’impact des employé·es des labos scientifiques sur l’environnement.

Même si ce n’est pas toujours facile, Eliane y croît, l’action directe scientifique a une crédibilité particulière selon elle, “je pense que la blouse blanche peut faire la différence : les scientifiques ne donnent pas leur avis, ne partagent pas leurs croyances, mais une conclusion à partir de faits et de données. Pour l’instant, elle garde son cap. “J’ai envie de continuer dans ce mouvement parce que je le sens grandissant et je pense qu’il peut avoir du poids pour influencer les politiques écologiques et proposer un autre récit du militantisme.

* Nom de la branche française : Les Scientifiques en Rébellion.

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