"En laissant faire la mer, on observe une régulation naturelle" | Les Autres Possibles

« En laissant faire la mer, on observe une régulation naturelle »

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Face à la montée des eaux, quels risques court le littoral des Pays de la Loire ? Et quelles solutions d’adaptation s’offrent à lui ? Entretien avec Marc Robin, responsable de l’Observatoire régional des risques côtiers en pays de la Loire.

Article publié le 19 septembre  2022
Mise à jour  le 10 avril 2024
Par Mathilde Doiezie
Photo : Jean-Félix Fayolle
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À quel point le littoral ligérien est-il concerné par la montée des eaux ?

Sur notre littoral, le niveau de la mer augmente de 1 à 1,5 mm par an, d’après ce qui a été mesuré par le marégraphe de Saint-Nazaire depuis un siècle et demi, et on constate actuellement une accélération due au changement climatique. Selon le Giec*, on est dans une région où la montée du niveau de la mer sera un peu moindre qu’ailleurs. Ça signifie à peu près 80-90 cm de remontée à l’horizon 2100 selon le scénario pessimiste** [contre environ un mètre en moyenne à l’échelle globale], quand le scénario le plus optimiste – c’est-à-dire si on réussit à infléchir nos modes d’usage de la planète – table plutôt sur une base de 40-45 cm. Dans tous les cas, cela aura des impacts aussi bien sur notre littoral que sur ses zones basses, comme l’estuaire ou les marais maritimes.

Et à quels risques sommes nous exposé·es ?

C’est mécanique : si le niveau de la mer est un peu relevé, les dunes et les falaises, mais aussi tous les ouvrages de défense côtière comme les digues et les remblais, vont subir plus d’impact de la part des processus météo marins. Il y a alors un risque accru d’érosion et de submersion. Mais le risque dépend surtout de l’enjeu : y a-t-il des habitations à proximité ? Est-ce que cela impacte l’urbanisation, le transport, l’activité économique ou la biodiversité ? Il y a des endroits où le sentier côtier est menacé comme au Pouliguen, ou bien des maisons, comme à Mesquer : si le sentier côtier était installé beaucoup plus loin, il y aurait beaucoup moins de risques.

Ensuite il faut savoir que les impacts sont différents selon que la côte est rocheuse ou sableuse. Plus de la moitié des 133 km de côte en Loire-Atlantique est rocheuse. C’est plutôt une bonne nouvelle : les falaises rocheuses résistent assez bien aux submersions puisqu’elles sont hautes, et le phénomène d’érosion est plus lent, en comparaison avec ce qui se passe sur les côtes sableuses, comme en Vendée, qui peuvent bouger très vite. C’est encore plus vrai en cas d’événements extrêmes. Lors d’une tempête
comme Xynthia, en 2010, on a pu mesurer des reculs dunaires de plus de 10 mètres par endroits. Et pour mémoire, les submersions ont fait 29 victimes à La Faute-sur-Mer. Si on prend un tel événement, extrême, auquel on ajoute une élévation du niveau de la mer de plusieurs dizaines de centimètres, les dégâts humains et matériels seraient forcément plus importants.

Cette tempête a-t-elle changé notre rapport au risque ?

Xynthia a été un élément déclencheur, oui . On s’est rendu compte à ce moment-là que l’aménagement du territoire n’était pas optimal pour faire face aux risques dans le contexte du changement climatique. Cette catastrophe a accéléré la mise en place de plans de prévention des risques littoraux (PPRL), avec une nouvelle hauteur de référence pour calibrer les ouvrages de défense côtière (digues, enrochements, épis…). Celle-ci a été établie à 4,20 mètres : le niveau du pic d’eau moyen atteint lors de la tempête Xynthia sur les côtes de Loire-Atlantique, auquel sont ajoutés 20 centimètres pour anticiper dès à présent l’élévation du niveau de la mer à court terme, et 60 centimètres pour le niveau de la mer à l’horizon 2100.

Quelles décisions les collectivités peuvent-elles prendre ?

C’est complexe et ce sont des décisions politiques. Mais face à des problématiques d’érosion ou de submersion, parfois, on ne pourra pas faire autrement que de renforcer les défenses côtières parce qu’il y a trop d’habitations et d’activités exposées, et qu’on n’a pas les financements nécessaires pour les délocaliser en proposant une indemnisation, ou encore pour en adapter l’architecture. Au Pouliguen par exemple, où certains quartiers sont situés dans des zones exposées aux submersions,
le système d’endiguement a été consolidé et rehaussé, des batardeaux [barrières anti-inondation] ont été installés. Mais lorsque les enjeux ne sont pas faramineux, on peut aussi réfléchir à une recomposition territoriale : en délocalisant et en allant vers une libre évolution du trait de côte.

Faut-il apprendre à lâcher prise à certains endroits ?

Oui. Lorsqu’on prend du recul sur l’érosion de nos côtes depuis 70 ans, on se rend compte qu’il y a parfois un battement qui se fait dans une zone de 15 à 30 mètres : avec des moments d’érosion et de recul du trait de côte, suivi de phases d’accrétion, le phénomène inverse. Prenons l’exemple des blockhaus sur la plage de Barbâtre à Noirmoutier : ils ont été construits sur la dune pendant la Seconde Guerre mondiale, puis certains ont fini sur la plage en raison du recul dunaire, et aujourd’hui, certains sont de nouveau rattrapés par la dune. On se rend compte que c’est plutôt lorsqu’on bloque ce mouvement naturel par des constructions − digues, artificialisation − que les problématiques d’érosion et de risque apparaissent. Souvent, la fixation du trait de côte d’un côté se traduit par une accélération du processus d’érosion de l’autre [puisque l’énergie de l’eau se déploie nécessairement quelque part]. C’est ce qui s’est passé par exemple dans le Languedoc-Roussillon, où on a commencé à mettre des épis à un endroit, et maintenant, il y en a sur des dizaines de kilomètres sans que le problème d’érosion ne soit résolu. Alors qu’en laissant faire, on observe plutôt une régulation naturelle du phénomène de la montée des eaux et de ses impacts. Tout ça change complètement notre manière d’appréhender le problème, parce que, jusqu’à présent, on aimait gérer, intervenir.

Doit-on toujours choisir entre artificialiser ou laisser faire ?

Non, il existe aussi une autre voie, à mi-chemin entre le renforcement des défenses côtières et la libre évolution. On parle alors des «solutions fondées sur la nature». C’est de l’ingénierie écologique : on laisse faire la nature, tout en l’aidant, pour répondre à nos propres besoins. Aux Pays-Bas ou en Allemagne, par exemple, des essais ont été faits dans des zones de vastes vasières avec des récifs d’huîtres pour ralentir l’effet de la houle. Lorsqu’il y a une conjugaison du phénomène d’élévation du niveau de la mer avec des conditions météorologiques intenses, les récifs d’huîtres créent des micro-reliefs qui peuvent briser l’énergie des houles et favoriser le colmatage par des sédiments. Dans notre région, on pourrait imaginer appliquer ça, en baie de Bourgneuf notamment. Donc il n’y a pas une seule solution pour chaque cas, mais plusieurs. Cela dit, toutes ont un coût qui va mécaniquement s’accroître avec le changement climatique. C’est bien plus tôt qu’il aurait fallu limiter l’urbanisation sur le littoral dans les secteurs exposés, pour ne pas créer autant de risques liés à l’érosion ou à la submersion, et devoir en assumer les conséquences.

* Groupes d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
** Le « SSP-8.5 », le plus pessimiste des scénarios du Giec, table sur une poursuite de l’augmentation des gaz à effet de serre.

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