"Il faut changer les imaginaires, pour habiter plus léger" | Les Autres Possibles

« Il faut changer les imaginaires, pour habiter plus léger »

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L’association les Hameaux légers aide les communes à loger leurs habitant·es de façon abordable, non spéculative et sans articificialiser les sols. Entretien avec son cofondateur.

Article publié le 26 septembre 2023
Mis en ligne le 24 juillet 2024
Par Marie Bertin
Photographie : Les Hameaux légers
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Xavier Gisserot a cofondé Les Hameaux légers en 2017 après avoir fait ce constat : l’habitat écologique, pourtant nécessaire, est trop souvent réservé à une population financièrement privilégiée. Il habite le premier hameau léger fondé par l’association, le hameau léger du Placis, à Saint-André-des-Eaux (22). L’asso accompagne actuellement 12 projets en France. À ce jour, au moins une dizaine d’autres sont installés ou en cours d’installation, dont trois en Loire-Atlantique (Plessé, Trignac, Monnières).

En quoi les hameaux légers sont-ils légers ?

D’abord sur le plan financier : ce sont des écoquartiers à petit budget. Les habitants n’ont pas à s’endetter, ou alors sur une courte échéance et pour une mensualité faible, ce qui leur permet une plus grande liberté et légèreté de vie. Ensuite, leur impact sur l’environnement est aussi faible que possible : ce sont des habitations de taille réduite, démontables ou déplaçables, avec des fondations légères (tiny houses, yourtes, maisons en kit, etc.). Il n’y a donc pas d’imperméabilisation des sols.

Comment êtes-vous parvenu à les rendre plus accessibles ?

Nous sommes partis d’un constat : le modèle immobilier actuel repose sur une spéculation essentiellement tournée vers le foncier, c’est-à-dire le terrain et sa localisation. C’est d’abord cela qui prend de la valeur, car la valeur d’une construction séparée de son sol n’a pas de raison de varier autant. Donc on a cherché un modèle qui permettrait de séparer la propriété foncière de la propriété de l’habitation. (…) Pour ça, on s’est emparés d’un outil qui existe depuis le Moyen Âge, le bail emphytéotique, et on a proposé à des communes de s’en servir pour louer des terrains à des habitants qui, eux, seraient propriétaires uniquement du logement. La particularité de ce bail, c’est sa longue durée, − en général 99 ans -, et le fait qu’il est très protecteur : les seules possibilités de le briser sont le non-paiement du loyer ou le non-respect de l’objet. Autrement dit, le hameau doit rester un lieu d’habitations principales : les habitants ne peuvent pas décider d’en faire un village vacances, par exemple. Enfin, ce bail peut être transmis de génération en génération. C’est donc une quasi propriété. Et en ayant recours à de l’habitat réversible – qui peut être démonté ou déplacé -, on permet aux habitants de rester propriétaires de leur habitation quoi qu’il arrive, tout en limitant les coûts de construction.

Combien vous coûte, par exemple, de vivre au hameau léger du Placis ?

Pour l’usage du sol, nous payons un loyer de 5000€ par an pour huit familles à la commune de Saint-André-des-Eaux, soit environ 50 € par mois et par foyer. Dans les projets que nous accompagnons, le loyer se situe toujours entre 50 et 100 € par mois. Nos maisons, elles, nous ont coûté entre 12 000 et 60 000 €, pour des surfaces allant de 20 à 55m2. On peut se permettre d’avoir des habitations de petite taille parce que nous disposons aussi d’espaces partagés : la maison commune compte une salle à manger, une chambre d’amis, une salle de jeu et une buanderie. Cela permet de recentrer l’habitation du foyer sur les seules pièces d’usage quotidien, mais aussi de limiter l’impact environnemental de chacune des habitations.

Comment cela se passe-t-il en cas de départ d’un foyer ?

Il y a trois scénarios possibles : soit un nouveau foyer arrive, rachète la maison, et reprend le loyer, tout simplement. Soit la maison est démontée et déplacée par le foyer qui part, pour être installée ailleurs. Ou encore, la maison peut être démontée, et vendue à quelqu’un qui s’installe ailleurs avec.

Est-il facile de convaincre les communes de lancer de tels projets ?

Plutôt oui. Elles sont nombreuses à nous contacter sans que l’on ait à les démarcher. Je dirais qu’on a reçu environ 200 demandes en 2022, de la part de communes rurales principalement, souvent situées en Bretagne mais aussi dans le Nord, le Sud-Ouest, la Drôme, l’Ardèche… Même si cela reste une démarche minoritaire à l’échelle des 35 000 communes françaises, on sent que les élus sont à la recherche de solutions pour urbaniser autre- ment, loger les gens malgré l’inflation des terrains, tout en répondant mieux aux enjeux environnementaux. Et on sait que, dans quelques années, ça touchera tout le monde ou presque. Malheureusement, nous ne pouvons pas encore toutes les accompagner avec nos 11 salariés actuels.

Cette solution est-elle vouée à prendre de l’ampleur et à toucher une large part de la population, selon vous ?

C’est difficile à dire. D’un côté, on répond vraiment aux enjeux de la lutte contre l’artificialisation des sols, entérinée par la loi Climat et résilience, ce qui va augmenter le besoin et la demande. D’un autre côté, pour monter de tels projets, il faut que les communes qui ne disposent pas déjà des terrains adéquats puissent en acheter. Or, cette nouvelle réglementation va avoir pour effet de diminuer drastiquement le nombre de terrains constructibles, donc de faire augmenter les prix, ce qui pourrait compliquer les choses, en particulier pour les petites communes rurales. La question est donc de savoir si ces communes vont réussir à anticiper et acheter rapidement les terrains ayant ce potentiel. C’est la condition pour que ces projets restent accessibles, et cette accessibilité détermine l’acceptation de ces nouvelles façons d’habiter par les citoyens, selon moi. Par ailleurs, je pense qu’il y a aussi un enjeu de changement des mentalités : tant que l’on persiste dans le modèle « plus d’espace, plus de dettes » le hameau léger restera marginal. Mais si les gens passent réellement à autre chose, pour vivre mieux avec moins, ça peut prendre de l’ampleur, oui.

Avez-vous définitivement abandonné le désir de la propriété privée classique et de sa maison avec jardin ?

Oui. Pour moi, cette question, c’est celle de la transmission et du patrimoine. On nous oppose souvent : « Qu’allez-vous pouvoir transmettre ? » Ce qu’il nous importe de transmettre, c’est ce modèle et ce qu’il offre d’autre : du temps, de la cohérence avec nos valeurs environnementales, et du lien social. Aujourd’hui, je n’ai aucune facture d’énergie, une mensualité faible, je partage une voiture avec mes voisins… On a pu reprendre le seul commerce du bourg pour le relancer, puisqu’on a pu accepter les petits salaires que ça impliquait. Tout cela, en ayant une qualité de vie élevée. Il faut changer les imaginaires : le vrai facteur d’épanouissement n’est pas dans le fait de gagner plus d’argent, mais plutôt dans celui d’en réduire le besoin.

 

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