"Il faut une gestion globale de la santé des cours d'eau" | Les Autres Possibles

« Il faut une gestion globale de la santé des cours d’eau »

En Loire-Atlantique, la qualité des eaux n’est pas bonne. Pourquoi et comment améliorer la situation ? Explications avec Yves Gabignon, hydrobiologiste retraité et passionné.

23 juin 2021
Propos recueillis par Marie Bertin
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Yves Gabignon, 67 ans, surveillait la qualité de l’eau des cours d’eau et des rivières au service du ministère de l’Agriculture, puis de l’Environnement, en Pays de la Loire. En parallèle, il sensibilisait bénévolement le grand public. À la retraite depuis 2016, il aide son fils à s’installer en agriculture biologique, une activité au coeur de cet enjeu. 

 

MB Comment surveille-t-on la qualité des cours d’eau ?

YG Ça dépend de ce que l’on veut savoir. Par exemple, si l’on veut mesurer l’impact des rejets d’une agglomération sur la rivière qui la traverse, on va étudier le milieu aquatique en amont et en aval, notamment de ses stations d’épuration, et les comparer. Dans ces deux zones de prélèvement, on procède aux analyses physico-chimiques de l’eau : acidité, oxygène, nitrates, phosphates, pesticides, etc. Et on examine les organismes vivants : les espèces de poissons ou d’insectes présents dans l’eau et sur les berges.

Aujourd’hui, ces analyses sont de plus en plus fines, jusqu’au relevé d’organismes unicellulaires. Mais le principe reste le même : on connaît ceux qui sont révélateurs d’une bonne qualité du milieu−certaines larves de libellules, d’éphémères, ou encore de coléoptères, et ceux qui au contraire indiquent la mauvaise santé de la rivière comme les sangsues, certains vers, les chironomes, etc.

 

MB Selon l’Agence de l’eau Loire Bretagne, en 2018, seulement 2 % des eaux de Loire-Atlantique étaient jugées en bon état. Pourquoi ?

YG D’abord, il faut savoir que le département est situé en aval de la Loire et d’un certain nombre de cours d’eau et rivières. Donc notre eau a déjà parcouru un long trajet avant d’arriver ici. Elle cumule les rejets polluants de l’amont : ceux des stations d’épuration des agglomérations qui ne parviennent pas à tout traiter, et les résidus des traitements agricoles comme les nitrates, les pesticides, etc.

Cela dit, en plus de cette situation géographique particulière, il y a un autre facteur déterminant : la diminution progressive de la quantité et du débit de l’eau ces dernières décennies, qui altère les capacités d’autoépuration des cours d’eau.

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MB Pourquoi la quantité d’eau et le débit ont-ils baissé ?

YG La quantité d’eau qui coule est forcément mise à mal dans un département aussi peuplé et agricole que la Loire-Atlantique. Les besoins en eau potable augmentent régulièrement ainsi que les besoins en eau pour l’irrigation des cultures et pour l’élevage. Et le dérèglement climatique n’arrange pas les choses. Mais la principale raison, selon moi, c’est le recours aux «recalibrages» pratiqués pendant des dizaines d’années.

Ces opérations ont consisté à déboiser les berges, rectifier les méandres et élargir le lit des rivières ou des ruisseaux pour lutter contre les inondations des zones agricoles et urbaines. Or, quand vous modifiez le parcours et le biotope d’une rivière, vous brisez son équilibre : vous changez la hauteur d’eau, vous favorisez l’évaporation, vous ralentissez le débit, etc.

« On a tué des rivières entières »

MB Comment ces recalibrages altèrent-ils aussi la qualité de l’eau ?

YG Un cours d’eau, c’est une suc-cession de milieux naturels tout au long de son cours : il y a des parties boisées et ombragées, des parties ensoleillées où l’eau reçoit la lumière, des parties étroites avec des eaux vives et des parties plus calmes, etc. Chacun de ces milieux est différent : ce ne sont pas les mêmes poissons, insectes et plantes qui y vivent. Et tous ces éléments ont un rôle dans la santé de la rivière.

Les plantes aquatiques, comme les nénuphars, les renoncules, ou les roseaux, sont capables de dégrader de nombreuses pollutions tout en apportant de l’oxygène : c’est l’autoépuration. Or, quand on recalibre, on décaisse au tractopelle et au passage on arrache les arbres, les plantes aquatiques, etc. On crée un milieu clair et calme là où il y avait peut-être du courant ou de l’ombre, on change la profondeur de l’eau… Donc on abîme gravement les équilibres naturels de la rivière.

En réalité, une pollution peut être acceptable si elle ne dépasse pas la capacité d’épuration du milieu qui la réceptionne ! L’autre drame de ces recalibrages : c’est leur gestion tronçon par tronçon. C’est-à-dire que chaque commune ou exploitant a agi sans se soucier de ce qui avait été déjà fait en amont ou en aval. Résultat  : on a tué des rivières entières. C’est la raison pour laquelle seule une gestion globale de l’eau, de l’amont à l’aval, est souhaitable.

 

MB Est-ce toujours ainsi que sont gérés les cours d’eau aujourd’hui ?

YG Cette gestion tronçon par tronçon n’était pas bonne. Donc, suite à la loi sur l’eau de 1992, on a créé, pour chaque bassin versant [un territoire dont toutes les eaux convergent vers un même point, NDLR], une Commission locale de l’eau (CLE), réunissant les élus, les usagers et les services de l’État. Chacune définit une feuille de route pour gérer les eaux de son bassin, censée garantir leur préservation et leur partage équitable : ce sont les SAGE, les Schémas d’aménagement et de gestion des eaux.

La théorie est bonne, malheureusement, la concrétisation est laborieuse car elle repose sur une démarche volontaire des différentes parties. Et tout le monde n’a pas les mêmes motivations. J’avais espoir que grâce à ces SAGE, on lie enfin correctement les questions de quantité et de qualité aux besoins — population, agriculture, industrie, loisirs — et qu’on considère le cycle de l’eau dans son ensemble. Mais on est resté en deçà de cette ambition.

MB Grâce à cette gestion globale, quelles solutions permettraient de restaurer la qualité des cours d’eau ?

YG De façon concertée, il faudrait restaurer les rives et accepter les aléas du cycle naturel de l’eau, comme les inondations. Avant on faisait avec, on les acceptait d’autant plus facilement qu’elles avaient l’avantage de fertiliser les parcelles sur lesquelles on cultivait… Ensuite, il faut faire baisser les niveaux de polluants en distinguant les pollutions organiques — fumier, eau usées, etc. — qu’un milieu naturel en bonne santé peut digérer, des polluants qu’un milieu, même en très bonne santé, ne pourra jamais absorber : les pesticides, les particules plastiques, etc.

Contre ceux-là, il n’y a qu’une solution : engager les citoyens, l’agriculture et l’industrie dans un changement de pratiques. L’eau est un bien commun qui concerne absolument tous les acteurs de la société. Pour la préserver, ils doivent s’en préoccuper, et vite.

 

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