Confinement en prison : la mobilisation éloquente des radio-parloirs | Les Autres Possibles

Confinement en prison : la mobilisation éloquente des radio-parloirs

Elles s’appellent Casse Murailles, L’autre Parloir, L’Envolée…  Alors que les détenus sont privés de parloirs physiques depuis le 17 mars, les émissions de radio dédiées à l’expression libre des personnes incarcérées et de leurs familles ont pris une importance particulière.

Par Marie Bertin
Publié le 24 avril 2020
Illustration : Benjamin Adam pour le numéro #17
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“Mon proche n’a plus de radio, serait-il possible de faire signe aux détenus pour qu’ils transmettent le message ? Lui souhaiter beaucoup de courage, de la part de sa femme. On est ensemble.” Ces quelques mots, adressés à l’émission de radio nantaise Casse Murailles via sa page Facebook, sont aussitôt consignés par l’équipe pour être lus à l’antenne le dimanche suivant. Car, en cette période de crise sanitaire, finis les parloirs, finies aussi les animations qui venaient ponctuer les journées enfermées des détenus. Yvette, qui anime habituellement un atelier de sculpture au centre de détention de Nantes, a décroché le téléphone pour parler à la messagerie de l’émission : “Un simple message à vous tous et à chacun des artistes de l’atelier Terre expression […] À bientôt. On se retrouvera pour partager à nouveau réflexion, imagination et création. Courage.” 


« Il faut des espaces pour raconter comment ça se déroule à l’intérieur. Si on se contente de ce qui est relayé officiellement, on n’a que la version édulcorée »


Ce ne sont que quelques exemples parmi beaucoup d’autres dédicaces que relaie en ce moment Casse Murailles, l’émission nantaise dédiée aux détenu.e.s et à leurs proches. Diffusée tous les dimanches en direct sur Jet FM, elle a dû changer ses habitudes pour cause de confinement : “Sans accès au studio, on enregistre chacun des morceaux de l’émission chez soi, et on les assemble ensuite, explique l’équipe d’animation. Au début, ça a été compliqué de mettre tout ça en place, mais ça commence à tourner.”

Impossible silence

Suite à l’annonce de l’interdiction des parloirs, la radio bordelaise La Clé des Ondes qui n’avait pas d’émission dédiée, a ouvert une libre antenne quotidienne et lancé un appel à relayer l’information sur les réseaux sociaux  afin de se faire connaître des familles de détenus. « Dans l’émission un Autre Parloir,nous prenons l’antenne en direct pour permettre aux proches de personnes détenues d’envoyer des messages à celles et ceux qui sont enfermé.es au centre pénitentiaire de Gradignan (33) ».


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Comme à Bordeaux, il était impossible pour les animateurs et animatrices de Casse Muraille d’envisager le silence dans un moment pareil : “Ces émissions sont importantes tout le temps pour les détenus et leurs proches, mais là, l’isolement des personnes incarcérées est encore plus fort. Il faut des espaces qui permettent d’envoyer du soutien, mais aussi pour raconter comment ça se déroule à l’intérieur de la prison. Si on se contente de ce qui est relayé officiellement, on n’a que la version édulcorée de ce qu’il se passe vraiment.” C’est l’autre vocation de ces émissions, qui affichent clairement leur position anti-carcérale : raconter les prisons de l’intérieur, par la voix même des détenus.

Échapper au virus dans 9m2

L’importance particulière que prennent ces émissions ces temps-ci tient aussi à l’inquiétude que suscite la propagation du virus dans les centres : au 10 avril, selon les chiffres officiels, 69 prisonniers avaient été testés positifs au Covid19 en France, trois en étaient morts. Pour les prisonniers, il est fréquent de partager une cellule de 9m² à trois, voire quatre. Le 30 janvier dernier, la France a d’ailleurs été condamnée une nouvelle fois par la Cour européenne des droits de l’Homme pour les conditions de détention dans ses prisons.  Pour limiter l’impact de l’épidémie, quelque 8000 détenus auraient donc été libérés de façon anticipée. Une mesure jugée très insuffisante par la contrôleure des prisons elle-même, Adeline Hazan, qui s’en indignait sur France Inter le 11 avril dernier.

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En réaction, les détenus aussi se mobilisent, et des actions de contestation collectives voient le jour : “Mr le directeur, nous, détenus du centre pénitentiaire de Borgo (Corse), vous informons qu’à compter du mardi 21 avril 2020, nous refusons la distribution des plateaux repas pour un délai indéterminé […]” Une lettre relayée notamment par L’Envolée : l’une des émissions dédiées aux détenus les plus écoutées en France, diffusée tous les vendredis à Paris sur Fréquence Paris Plurielle (FPP). Fondée en 2001 par d’anciens prisonniers, prisonnières et des proches, elle se mobilise pendant le confinement pour informer quotidiennement sur la situation en prison et dans les Centres de rétention administrative (CRA) pour les sans papier. “L’épidémie de coronavirus a de lourdes conséquences en détention. Face à la gravité de la situation, nous avons décidé de produire un bulletin quotidien de 15 minutes”, indique la présentatrice au début de chaque journal, bulletin relayé par d’autres radios locales. À Nantes, la radio Prun’ (92.0) le diffuse quotidiennement à 18 heures. ♦

 

Témoignage publié par le compte Instagram @dis_leur_pour_nous
Témoignage publié par le compte Instagram @dis_leur_pour_nous

En complément

Ces émissions peuvent être écoutées en ligne partout en France, mais chacune s’attache plus particulièrement à couvrir l’actualité et à relayer les messages émanant des centres de détention de sa propre région.

→ D’autres émissions : celle du collectif Natchav sur radio Alternantes (98.1) à Nantes, celle du collectif Papillon sur Radio Dio à Saint-Étienne, Bruits de Tôles de la toulousaine Radio Canal sud.
→ Casse Muraille : tous les dimanches midi à 13h sur Jet Fm. 91.2 ou sur jetfm.fr. Pour laisser des messages : 07 82 98 43 59 / Facebook / cassemurailles@riseup.net
L’Envolée : tous les jours, à 19 h, sur FPP (106.3)
L’Autre Parloir : de 19h à 20h sur La Clé des ondes (90.10)
→ Le compte Instagram « Dis leur pour nous » relaie des paroles de détenus et de familles de détenus reçus par l’Observatoire international des prisons

 

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