Par Marie Bertin
Illustrations : Delphine Vaute
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« 70% des moineaux ont disparu de Paris entre 2003 et 2016, et toutes les grandes villes sont sur la même tendance », alerte Alain Neau, bénévole depuis 30 ans à la LPO, la Ligue de protection des oiseaux de Loire-Atlantique. « Les oiseaux sont un indicateur, quand il n’y en a plus, c’est qu’il n’y a plus grand chose. » Face au recul global de la biodiversité, la ville ne fait pas exception, malgré son verdissement… « Les grands parcs publics, pour les oiseaux, ce n’est pas la panacée », recadre Alain en se baladant dans son jardin, à Carquefou. Un jardin dont on ne sait plus trop d’ailleurs s’il est un jardin, un champ ou une forêt. Ici les « mauvaises » herbes grimpent le long des troncs et forment des îlots fouillis : Alain ne tond volontairement que 50 % de l’espace, il réserve le reste pour la nature. « Si vous ne laissez pas monter les hautes herbes et les céréales, les papillons et les insectes ne peuvent pas se nourrir, donc, les oiseaux qui les mangent, non plus. » Or, arrêter de ratiboiser n’est pas une tendance dans les espaces vert. « Sans compter l’impact de l’énergie dépensée à tondre. »
« Les grands parcs publics, pour les oiseaux, ce n’est pas la panacée. »
Compter les parcs et jardins pour savoir si une cité est accueillante pour la nature sauvage environnante est donc loin de suffire pour penser la biodiversité urbaine. « Les premiers travaux sur les espèces présentes en ville datent des années 60-70, mais il y a un approfondissement depuis les années 2000 », affirme Philippe Clergeau, chercheur en écologie urbaine au Muséum national d’histoire naturelle et consultant pour la ville de Nantes. Il confirme : « Verdir, c’est bien. Mais la plupart du temps, on plante des espèces décoratives, non régionales, qui demandent beaucoup d’entretien. On ne laisse pas l’équilibre s’établir. La biodiversité, ce n’est pas que de la quantité ou de la diversité d’espèces, c’est avant tout leurs interactions, l’équilibre du système. »
Chacun sa route
Si l’interdiction de l’usage des produits phytosanitaires par les villes en 2017* permet le retour de certains insectes et oiseaux, on est encore loin d’inverser la tendance. « Plus on s’approche du centre-ville, moins il y a d’espèces. Pour qu’elles s’épanouissent, il faut surtout créer de la continuité entre les espaces naturels de la métropole », ajoute le chercheur. C’est ce genre de continuités vertes, aussi appelées « corridors écologiques », que la ville de Rezé s’est donné comme objectif de restaurer dans le cadre du projet de réaménagement métropolitain de la Zac Pirmil-Les Isles, qui prévoit la création de 4 000 nouveaux logements d’ici 2030. « Actuellement, la Loire est complètement coupée [par les habitations, les routes, les zones commerciales… NDLR] de ses affluents, la Sèvre et la Jaguère, explique Laurène Stordeur, responsable du service développement durable à la Mairie de Rezé. Ce qui empêche les espèces d’aller de l’une à l’autre. » Les réunir en construisant plus ? « C’est possible. Pour les relier, il va falloir préférer un écoquartier avec des promenades plantées, créer des fossés naturels, etc. On ne veut pas refaire l’erreur d’une zone comme Atout Sud, construite dans les années 70, avec ses sols imperméables et des espaces totalement clôturés : une horreur pour les hérissons, par exemple, qui ne peuvent plus se déplacer. » Pour Philippe Clergeau, il faut également préférer l’implantation d’une flore locale. « C’est seulement si de telles mesures sont prises que la ville va se reconnecter avec la campagne environnante. »
« La ville ne sera jamais un hotspot de biodiversité »
Concilier le développement économique et l’ambition affichée d’une « ville-nature » : le sujet faisait justement débat à Nantes, début avril 2018, lors d’une réunion intitulée « Un square, un village d’habitat social, un stade, un CHU… La promesse de la destruction semble infinie… Détruire une passion nantaise ? » organisée par le collectif À la criée. « La carrière Miséry était une friche intéressante, remarquait alors une participante, la nature commençait à y reprendre ses droits. Bientôt, ce sera fini. » Le lieu a en effet été choisi pour installer le fameux « Arbre aux Hérons » et un nouveau jardin, qualifié d’« extraordinaire », flanqué d’une cascade artificielle. « Une friche n’est pas forcément un espace de biodiversité remarquable, même si elle reste un espace de biodiversité ordinaire tout à fait intéressant, rappelle Clarisse Paillard, chef de projet Biodiversité Arbre Forêt au sein de Nantes Métropole. La carrière Miséry a été longtemps exploitée pour la pierre, puis occupée par une brasserie. Finalement, elle deviendra un jardin. » Peut-être un – bon – signe des temps : l’émergence d’agences de paysagistes comme celle de l’atelier Campo Paysage à Nantes, qui met la biodiversité, exceptionnelle ou non, et la nature libre au cœur de son travail, s’inspirant notamment des travaux de Gilles Clément et de son concept de « Jardin en mouvement ». Nicolas Galin est un paysagiste engagé, mais sans illusion : « Aujourd’hui, particuliers, collectivités, promoteurs, tout le monde s’accorde dans le discours. Mais, dans la pratique, « on veut quand même que ça fasse propre ». Notre métier, c’est d’accompagner le changement des mentalités. On est forcément dans le compromis. Une ville est une ville : les gens doivent pouvoir passer en vélo ici, ça doit être sécurisé pour les enfants là… Mais, on essaye toujours de concilier les usages et le maximum de vivant. »
Naturaliser l’urbain
Pour Romaric Perrocheau, le directeur du Jardin des plantes et du Conservatoire de la biodiversité de la ville de Nantes, « bien-être en ville » [comprendre : mobilier urbain, voies cyclables, promenades aménagées, etc.] et biodiversité ne s’opposent pas : « Parfois, pour le bien de la nature, il vaut mieux aménager. De toute façon, les gens sont là, si vous les laissez marcher où ils veulent, ils peuvent détruire… Si vous créez, en bord de rivière par exemple, un chemin de bois surélevé, vous évitez des interactions nocives pour les espèces qui nichent sur les berges. » Sans oublier la valeur pédagogique de ces aménagements. « La ville ne sera jamais la campagne, poursuit Philippe Clergeau, ce ne sera jamais un « hot spot » de biodiversité, comme on dit. Mais elle a un rôle à jouer, elle peut et doit participer à sensibiliser, notamment, puisque c’est là que se concentre la population ! » C’est aussi l’un des rôles majeurs joués par un parc public comme le Jardin des plantes. Comme l’explique son directeur : « Ici on cultive l’intégralité de la flore du massif armoricain, soit 1 500 espèces sauvages poussant en Bretagne et en Pays de La Loire. Ces connaissances nous permettent de participer à la réintroduction d’espèces locales menacées – par exemple la tulipe Sylvestre, qui pousse dans les vignes et avait quasiment disparu après l’arrivée des produits phytosanitaires – mais aussi de sensibiliser. Chaque année, plus de 3 000 scolaires participent à nos animations. » ◆
* Mesure valable pour les particuliers à partir du 1er janvier 2019.
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