Quel bonheur que de créer ses propres couleurs ! | Les Autres Possibles

Quel bonheur que de créer ses propres couleurs !

Chaque numéro des Autres Possibles est illustré par un·e artiste nantais·e différent·e. L’occasion de découvrir le travail des graphistes, illustrateur·rices et peintres locaux, mais aussi d’en apprendre plus sur leurs parcours et leurs inspirations dans une interview menée chez eux ou dans leur atelier, et publiée ici lors de la sortie de chaque nouveau numéro.

Quand Sophie Morille découvre la teinture végétale, en 2005, c’est le coup de foudre. Un nouveau monde de couleurs s’ouvre alors devant cette artiste plasticienne, formée au design textile. Dans son atelier de La Montagne, près de Nantes, les bocaux de pigments s’accumulent sur les étagères au fur et à mesure de ses cueillettes. Les plantes, broyées, sont prêtes à révéler leurs nuances sur les patchworks, tissages, et gravures que l’artiste compose avec passion. 

Comment a commencé ta vie d’artiste… par ta passion des plantes, ou par celle du dessin ?

Un peu les deux ! J’ai grandi à la campagne, mes parents étaient agriculteurs, j’ai vite pris l’habitude de jouer avec ce que j’avais sous la main, sous les yeux : des morceaux de bois, des feuilles d’arbres, des fleurs… Et ce côté “bidouille” m’est resté. 

Mais dans mon souvenir, je dessinais déjà beaucoup petite fille. J’étais très sensible à ce qui m’entourait et j’étais souvent dans mon monde, dans ma bulle, ce qui m’a permis de beaucoup développer mon imagination. Donc les deux sont très liés.

Pourquoi avoir choisi de te former aux Arts textiles ?

Je crois que c’est une histoire de famille… Ma mère se faisait ses propres vêtements, je l’ai toujours vu coudre. Et ma grand-mère m’avait appris à tricoter très jeune. À 12 ans, je me faisais des pulls ! 

Donc quand il m’a fallu choisir une orientation en arts appliqués, étudier la création textile m’a semblé évident. Ça regroupait tout ce que j’aimais : le dessin, la couleur, la matière, les motifs…

Sophie Morille, les autres possibles, 35
L’atelier de Sophie Morille

Depuis ta découverte de la teinture végétale, tu l’intègres à toutes tes pièces et tu crées tes propres pigments végétaux. Que représente pour toi cette technique, que t’apporte-t-elle ?

Elle me passionne, dans sa globalité. J’essaye au maximum de récolter moi-même les végétaux avec lesquels je crée des couleurs, même si j’en achète aussi certaines à des associations spécialisées, car toutes les plantes ne sont pas faciles à trouver ! Je pourrai me contenter de toutes les acheter, mais pour moi, il y a quelque chose de plus fort, de plus vivant dans le fait d’aller les récolter moi-même. 

C’est presque de l’ordre de la magie. Quand je vais en cueillette, je porte un regard sur la nature qui me permet d’invoquer ensuite cette nature dans mon travail. Les couleurs végétales sont plus vibrantes et quel bonheur que de créer ses propres couleurs venant de la nature, c’est très satisfaisant ! Et puis l’aspect botanique me plaît : peu à peu, je connais mieux les plantes, leurs noms, leurs propriétés, etc. Je développe un véritable savoir botanique.

Tu travailles donc tes propres couleurs : quelle est pour toi, “la bonne couleur” ? Comment la reconnais-tu ?

C’est ce que j’en fais qui détermine si la couleur “va”. Mais finalement, j’essaye surtout de ne jamais considérer une couleur comme ratée, et de toujours parvenir à en faire quelque chose. Si je cherche une nuance de vert, et que ça vire au marron, on pourrait dire “ça ne va pas”. 

Pourtant, un marron qui peut sembler laid peut se révéler différemment à côté d’une autre nuance… En teinture végétale, il n’y a pas de vrai raté, on est toujours face à des nuances douces et harmonieuses. Donc je les garde toutes. J’ai toujours plein de couleurs d’avance, et je pioche dedans en fonction de ce que je vais faire.

Sophie Morille, les autres possibles, 35
L’expérimentation est donc au cœur de tes créations…

Oui, ça m’est permis par cette technique de la teinture végétale qui est très riche. Une des choses que je préfère faire par exemple, c’est mêler les techniques de mordants. Les mordants, ce sont les sels métalliques que l’on dépose sur le tissu à teindre pour y fixer la couleur. 

Selon le type de sel choisi, – j’aime beaucoup l’alun de potassium, ou encore le titane qui tire vers le orange – et le niveau d’imprégnation, on obtient des nuances très variées. On peut mettre du mordant sur tout le tissu, puis choisir de l’enlever à différents endroits, et créer ainsi les motifs… Les possibilités sont infinies.

Tu composes des patchworks dont tu teins toi-même les différentes pièces, que tu encadres ensuite. Cela crée des tableaux abstraits, finalement à l’opposé du monde végétal qui t’inspire par ailleurs…

Pour moi, l’abstrait n’est pas opposé à la nature. On peut voir beaucoup d’abstrait dans la nature, tout dépend du regard que nous posons sur elle. Aussi, j’intègre assez souvent des motifs floraux ou végétaux à des formes plus abstraites, j’aime justement la confrontation des deux.

Sophie Morille, les autres possibles, 35
 

Tes médiums de prédilection sont la teinture végétale et la gravure, comment les associes-tu dans ton travail ?

Je vais de l’un à l’autre en permanence. Ils se complètent très bien je trouve. Je transpose régulièrement ce que j’ai fait avec l’un, sur l’autre. Par exemple, un dessin créé à l’occasion d’une gravure, se retrouve comme motif sur une pièce de tissu. Le passage entre ces deux techniques enrichit l’ensemble de mon travail je pense.

Laquelle de tes créations préfères-tu ?

Si je dois choisir, j’en aurai deux… Un tissage au point tapis en teinture végétale, et un patchwork aux multiples couleurs. Pour moi, ce sont deux œuvres très vivantes, grâce au tissage, et vibrantes, grâce aux nombreuses couleurs.

Quels sont tes projets du moment et futurs ?

En ce moment, je crée un jeu de cartes des émotions que j’illustre en gravure, et je prépare une exposition pour la galerie Le Rayon vert, à Nantes, qui sera visible en septembre 2022. 

On me sollicite aussi régulièrement pour intervenir dans diverses écoles et centres culturels. J’ouvre également souvent mon atelier les samedis matins pour les personnes qui souhaitent s’initier à la teinture végétale lors de stages.

 

Le parcours de Sophie Morille, en bref →

Après un Bac arts appliqués préparé à Montaigu, en Vendée, Sophie Morille se forme aux Arts textiles à l’École Duperré, à Paris, d’où elle sort diplômée en 2002. De retour dans le Maine-et-Loire, sa région natale, elle travaille d’abord plusieurs années comme designer pour l’industrie textile, notamment pour IKKS femme et diverses marques de vêtements pour enfants. Parallèlement, elle découvre la teinture végétale et se prend de passion pour cette technique, qui l’amène peu à peu à délaisser l’industrie pour se consacrer à ses propres pièces, qu’elle vend ou expose. Elle collabore également ponctuellement à différents projets en tant qu’illustratrice. 

 

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