Les « patients-partenaires », ces patient·es qui aident les autres malades chroniques
Quand la maladie devient une compétence à part entière : celle d’aider les personnes souffrantes. C’est le rôle des « patients-partenaires ».
Quand la maladie devient une compétence à part entière : celle d’aider les personnes souffrantes. C’est le rôle des « patients-partenaires ».
Élodie Basset est diplômée de l’université des patients de la faculté de médecine de Paris VI. Ce cursus forme des malades chroniques à l’éducation thérapeutique pour d’autres patient·es, en validant l’expérience acquise lors du suivi de leur maladie. Elle a cofondé l’asso nantaise La Fabrique créative de santé, qui accompagne les malades chroniques.
ÉB : C’est un patient qui fait valoir son expertise, c’est à dire son experience de vie avec la maladie, auprès d’autres patients, en partenariat avec les soignants. Être malade force à développer des compétences : entre les rendez-vous, les soins, les démarches administratives, une personne qui a deux maladies chroniques− ce qui est banal aujourd’hui −consacre en moyenne 20% de son temps chaque semaine, soit environ une journée, à sa pathologie. Aller travailler avec la maladie permet par exemple de développer des capacités particulières de concentration, de gestion de la fatigue, d’organisation, ou encore de communication avec l’employeur. Tout cela révèle des compétences psychosociales d’adaptation, liées à la maladie, qu’un soignant ne peut pas transmettre, à moins d’être lui-même malade.
EB Depuis mes 18 ans, je vis avec une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Au départ, je l’ai beaucoup subie. Un jour, à l’hôpital, un médecin m’a fait lire un document sur l’éducation thérapeutique des patients : ce sont des ateliers pro-posés aux patients dans les établissements de santé où ils sont suivis, pour les accompagner dans leur quotidien de malades. C’était à un moment où j’avais besoin de reprendre le pouvoir sur ma maladie. Je me suis donc investie dans une association consacrée aux MICI et j ’ai appris qu’il était possible de se former au sein de l’université des patients, à Paris, pour aider d’autres malades à vivre avec leur pathologie. C’est une spécialité très récente. L’éducation thérapeutique n’est encadrée en France que depuis les années 2000, et il n’y a toujours pas de cadre légal autour des interventions des patients-partenaires, malgré la reconnaissance des formations. Pourtant, c’est un complément indispensable, selon moi. Si l’on n’a que le point de vue du soignant, on passe à côté de beaucoup de choses.
EB Principalement lors des ateliers d’éducation thérapeutique. J’interviens au CHU de Nantes dans les ateliers dévolus aux MICI, au sein du service de gastroentérologie. On y aborde toutes sortes de questions pratiques comme le travail, mais aussi : voyager avec la maladie, aller au cinéma, ou encore en parler avec son entourage. Parallèlement, je forme des soignants à l’éducation thérapeutique, et des patients qui souhaitent devenir eux-mêmes patients-partenaires, toujours au sein du CHU. Je propose aussi des ateliers d’éducation au sein de mon asso, La Fabrique créative de santé. Tout cela bénévolement, sauf lorsque je suis formatrice.
EB On accompagne le quotidien de tous les malades chroniques qu’ils souffrent d’un cancer, du VIH, de la sclérose en plaque ou encore de maladies psychiatriques comme la bipolarité, la schizophrénie, etc. On intervient avec toutes les ressources à notre disposition : ateliers d’éducation thérapeutique, thérapies complémentaires, accompagnement à la reprise du travail, etc. On propose également une vie associative riche faite de conférences, d’expos, de rencontres, d’ateliers de chant, de danse… Tout cela permet à chacun de trouver sa propre façon de reprendre la main sur la maladie. Et c’est abordable : l’adhésion annuelle est de 35€, puis l’accès à tous les ateliers est gratuit.
EB C’est vrai, en France, on accuse un certain retard là-dessus par rapport au Canada, par exemple. Là-bas, les patients peuvent devenir partenaires plus rapidement, parfois dès le diagnostic, et intégrer les instances de gouvernance de la santé, jusqu’au ministère. Ici, il y a effectivement encore des médecins réticents à l’idée de nous considérer comme des professionnels de santé à part entière, même s’il arrive qu’un patient en sache plus que le soignant dans un domaine particulier, y compris au niveau scientifique, tout simplement parce qu’il y a passé énormément de temps ! Pourtant, il ne s’agit jamais de devenir médecin à la place des médecins : les ateliers d’éducation thérapeutique sont vraiment coconstruits avec les soignants, pour délivrer un message commun. Le médecin intervient sur l’aspect biomédical de la gestion de la maladie : la prise des médicaments au quotidien, l’adaptation du régime alimentaire, etc. Et le patient-partenaire sur l’aspect psychosocial : la gestion de la fatigue, des émotions, etc.
EB Ce qui est sûr, c’est que le rapport est de moins en moins asymétrique avec le professionnel de santé. De plus en plus de patients et d’associations de patients s’engagent dans l’éducation thérapeutique et dans la recherche, jusqu’à changer la médecine elle-même. On peut citer Thomas Sannié, hémophile qui a présidé l’AFH, l’Association française des hémophiles, et siégé au conseil d’administration de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Ou encore Éric Balez, de l’Association François-Aupetit dédiée à la maladie de Crohn, qui a créé la plateforme web MICI Connect pour accompagner les malades. Pour moi, ce mouvement est aussi lié à ce qui a révolutionné la relation soignant-patient ces dernières années : Internet. L’accès facilité à l’information sur la santé a bien des défauts, mais malgré tout, c’est une ouverture à la connaissance médicale pour tous. Je suis persuadée que c’est toujours mieux de s’y intéresser que de ne pas le faire, même sur un mauvais forum. Et si on se retrouve là, c’est qu’il y a un manque quelque part dans la gestion quotidienne de la maladie.
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