Famille recomposée : "Il faut oser parler d'amour" | Les Autres Possibles

Famille recomposée : « Il faut oser parler d’amour »

Amandine Delord LAP #24 amour crédit Stéphane Mahé

C’est comment l’amour entre demi-frères et soeurs, avec un beau-parent et dans le couple, quand deux familles s’unissent ? Amandine Delord s’est spécialisée sur la question.

04 mai 2021
Par Marine Forestier
Photographie : Stéphane Mahé pour Les Autres Possibles
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Amandine Delord est une doula thérapeute familiale, spécialisée dans l’accompagnement des familles recomposées, l’adoption et les parcours de procréation médicalement assistés (PMA). Les doulas – mot venant du grec qui signifie « au service de » – accompagnent une femme et son entourage lors d’étapes importantes de la vie, comme les premières règles ou la grossesse.

 


Pourquoi l’amour pose-t-il des questions particulières au sein d’une famille recomposée ?

Parce que ces familles remettent en cause la norme, dominante, de la filiation biologique : elles vivent le même quotidien qu’une autre, l’évidence de la parenté « naturelle » en moins.

Côté enfants, le choix du couple amoureux est imposé, il ne va pas de soi. Côté parents, ce n’est pas beaucoup plus simple. Faire famille avec un « étranger » – l’enfant de l’autre, ou le beau-parent – devient un enjeu important, l’histoire d’amour du couple risquant de ne pas se concrétiser en l’absence d’un quotidien apaisé.

Ce sont des questions que je me suis posées moi-même, étant belle-maman : comment créer du lien alors qu’il est « artificiel » dans un premier temps ? Est-ce je peux aimer les enfants de mon conjoint et comment ? Est-ce que je peux être dans un rôle maternant, sans prendre le rôle de la mère ? Jusqu’où m’impliquer dans leur éducation ?

De même, en s’engageant dans une relation affective avec leur belle-mère ou beau-père, les enfants peuvent craindre de faire souffrir leur autre parent, celui qui est hors de cette famille recomposée, et se sentir mal à l’aise, pris dans un conflit de loyauté.

« Comment créer du lien alors qu’il est d’abord artificiel ? »

En quoi les métiers de doula et thérapeute peuvent-ils aider les familles ?

Ce sont deux métiers d’écoute qui permettent de comprendre les difficultés de la famille, aux différents moments de la vie. Le métier de doula, encore assez méconnu, a émergé il y a 30 ans environ. Une doula est une femme au service d’une autre femme et de son entourage.

Elle se déplace sur rendez-vous [rémunérée par les familles, par exemple en chèque emploi service, ndlr] et offre son soutien en fonction des besoins du foyer, notamment pendant la grossesse. Son rôle est alors complémentaire de celui de la sage-femme.

Elle n’entre pas dans le champ médical et se concentre sur trois missions : une mission d’information, par exemple, sur les différentes options d’accouchement, une mission d’aide logistique comme garder le bébé pour que la mère puisse prendre une douche et enfin, une mission de soutien émotionnel. Le tout, sans jugement et dans le respect des choix de chacun.

« Je crois beaucoup à la puissance des rites quotidiens. »

Donc, en tant que doula, on est observatrice privilégiée des premiers moments de la vie de famille. Ensuite, en tant que thérapeute spécialisée dans l’accompagnement des familles recomposées et de l’adoption, je propose en cabinet un espace pour aider les familles qui ont besoin de guérir les liens.

Dans ce cas, il y a plusieurs étapes. D ’abord j’accueille chaque membre de la famille individuellement. Chacun peut me faire part de sa propre perception. Je reçois ensuite la famille entière et j’aide à faire émerger les solutions. C’est important pour moi d’offrir un espace d’écoute spécialisé aux familles recomposées, car comme dans les familles « classiques », il faut oser parler d’amour.

Parfois, on peut aussi ne pas vouloir tisser de liens, ne pas vouloir prendre part à l’éducation des enfants de son conjoint, par exemple. Dans ce cas, c’est important de respecter l’envie de chacun, il n’y a pas une seule bonne recette.

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Quand elles le souhaitent, que suggérez-vous aux familles pour établir ou rétablir les  liens?

J’explique que les parents sont ceux sur qui repose la responsabilité de donner de la place aux liens. Chaque famille dispose forcément de ressources pour créer un quotidien familial. Tout l’enjeu de l’accompagnement, c’est de les repérer et d’aider à les mettre en place.

Cela peut passer par des rituels quotidiens : le massage, par exemple, peut permettre de créer un lien d’affection, tout en laissant à l’enfant la liberté de venir chercher cette tendresse, bien sûr. Autre exemple, je préconise à certains parents d’organiser « un cercle de parole » quand les enfants arrivent dans la maison, en cas de garde alternée.

Ce rituel de retrouvailles permet d’exprimer les envies de chacun pour les jours à venir, d’aborder les questions d’agenda et d’organisation. Il peut aussi avoir lieu à la fin de la garde, pour permettre aux enfants d’exprimer leurs émotions et relâcher les tensions.

Et concernant les relations entre demi-frères et sœurs ?

Toutes les situations sont singulières. Il y a une question de planning et de logistique : les enfants seront-ils régulièrement tous ensemble, ou bien y aura-t-il une semaine avec les enfants du premier parent et une semaine avec les enfants du second ? Plus le quotidien est partagé, plus il est facile pour des enfants de créer de la complicité.

Il y a moins d’enjeux d’appartenance ou de loyauté entre eux, qu’entre un enfant et un adulte. Si les enfants n’ont pas de temps commun, le temps passé avec les parents peut être source de jalousie. Dans l’ensemble, il est très important de laisser du temps pour chaque lien : le nouveau couple, le parent avec ses enfants, et avec les enfants de son ou sa partenaire. Il faut être attentif à ça pour que les liens se consolident.

Et si l’amour, ne vient pas ?

Est-ce que dans une famille biologique, il y a forcément de l’amour entre tous ? Des frères et sœurs peuvent être très conflictuels entre eux. À défaut, on peut apprendre à se respecter. Une famille recomposée est plus fragile, mais l’absence de liens forts n’induit pas forcément que des tensions, et ne va pas forcément mener à une séparation du couple.

 

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