À Nantes, le boom de la vente en vrac et la naissance d’une filière
De plus en plus de produits sont disponibles sans emballage. Mais pour s’imposer, la filière du vrac a encore de nombreux défis à relever.
De plus en plus de produits sont disponibles sans emballage. Mais pour s’imposer, la filière du vrac a encore de nombreux défis à relever.
En septembre, Clémence, rezéenne de 32 ans, a pris une bonne résolution. Elle va réduire ses déchets. À commencer par les emballages, qui représentent 64 % des déchets plastiques en France pour un taux de recyclage de 26,2 % (25e rang européen. Enquête 60 millions de consommateurs, mars 2018.) seulement. Son nouveau truc ? Faire ses courses en vrac, c’est à-dire en apportant ses propres contenants chez le commerçant et en achetant juste la quantité qu’il lui faut. Une pierre, trois coups : elle évite les emballages, limite son gaspillage alimentaire et elle fait des économies. Le vrac est de 5 à 30 % moins cher pour un produit de qualité égale, notamment grâce à la réduction des coûts marketing. La jeune femme fréquente depuis longtemps les marchés, qui sont historiquement les premiers commerçants de vrac. Mais plus question d’utiliser le sac plastique. Elle se sert de cabas en tissu pour les fruits et légumes et de boîtes ou bocaux pour les viandes, poissons, fromages… « La prochaine étape, c’est tout le reste, les pâtes comme le shampoing ! »
En dehors des marchés, le vrac a quasiment disparu du panier des ménages dans les années 60, avec l’avènement des grandes surfaces, reines de l’emballage. Ironie du sort, ce sont ces mêmes grandes surfaces qui ont été parmi les premières à le réintroduire. Auchan a sorti un rayon vrac self discount pour petits budgets, dès 2005, en réponse à l’arrivée des hard discounter allemands type Lidl. L’enseigne a continué avec des produits plus élaborés, comme les cafés, thés et épices, visant une clientèle plus aisée, mais avec le même objectif : portionner soi-même ses achats pour payer moins cher. Au départ donc, nulle promesse environnementale. Selon Olivier Dauvers, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de la grande distribution, ce n’est pas tant la demande du consommateur que l’intuition commerciale qui a poussé les grandes enseignes à s’y risquer. « C’est de l’opportunisme, tout simplement. »
À la suite d’Auchan, les concurrents ont suivi et le mouvement s’est accéléré. Leclerc a lancé sa marque Bio Village en vrac en 2017. Biocoop en fait une de ses priorités en 2018 et la chaîne locale Chlorophylle réfléchit à augmenter ses surfaces de vente en libre-service. « C’est à l’étude. Ça ne peut pas se faire en un jour car cela nécessite de réaménager les magasins, de modifier notre logiciel commercial pour que les clients puissent peser les produits avec leurs propres contenants. Cela représente un coût important », précisent Patrice Boivron et Pascal Guillet, directeurs adjoints. Olivier Dauvers, de son côté, pose ses réserves : « Cela restera une niche, malgré tout. Car la tenue des rayons vrac est complexe et a deux défauts aux yeux des consommateurs : le stockage et l’hygiène. » En effet, les produits ne sont pas sous-vide et la question du nettoyage des contenants, comme des rayons, se pose, avec notamment le risque des mites alimentaires. Malgré tout, l’idée séduit de plus en plus d’entrepreneurs. De 18 épiceries spécialisées en 2015, elles sont désormais au moins 168 en France, dont neuf en Pays de la Loire selon l’annuaire de Réseau Vrac. Créée en 2015, cette association interprofessionnelle accompagne le développement de la vente en vrac. Son but : harmoniser les pratiques et régler les questions d’hygiène, justement. « Il y a un flou juridique, donc on peut rapidement faire tout et n’importe quoi, en interchangeant les contenants des produits par exemple, explique Johanna Le Mau, présidente de Réseau Vrac et fondatrice de la première épicerie 100 % sans emballage à Nantes, Ô Bocal. Si l’on veut que ce mode d’achat se développe, il faut prouver au consommateur que c’est propre et qualitatif. »
Pour aller au bout de sa bonne résolution, Clémence souhaiterait également consommer bio et local. Mais difficile de cumuler ces critères et l’absence d’emballage. Rares sont les produits frais comme les yaourts, la crème ou encore les surgelés distribués sans plastique. La législation ne facilite pas les choses. Jusqu’à récemment, l’huile d’olive était interdite à la vente liquide en vrac, pour éviter la contrefaçon et les mélanges. Après un travail important de Réseau vrac auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, elle est désormais autorisée sous certaines conditions pour le vendeur. L’organisation va entamer le même combat pour d’autres produits sous appellation, comme certains riz ou lentilles. Bio ou pas, pour l’instant, seulement 30 % d’un panier moyen est accessible en vrac. Tant pis, Ô Bocal a choisi de ne vendre que du bio, pour allier les deux démarches responsables, au risque que le choix en rayon reste limité : pâtes, riz, céréales, épices, farine, sucre, graines… « Parce que pour moi, le vrac est un état d’esprit avec des valeurs, autour du bien et du bon, précise Johanna Le Mau. Mais si on veut passer de 2 % de la consommation totale en vrac, à 20 %, il faut que cela concerne l’agro-alimentaire plus largement. Si demain Coca-Cola se met à faire du vrac, faut-il s’en plaindre ? » Pour elle, toute avancée, même minime, est bonne à prendre. «Il vaut mieux acheter de la junk food en vrac qu’emballée. Après, c’est au consommateur de faire des choix sur la qualité de ce qu’il mange. » ♦
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