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Et mon masque en tissu, tu l’aimes, mon masque en tissu ?

Pour équiper tout le monde en matériel de protection, particuliers, assos et entreprises ont fait tourner les machines à coudre. Ces équipements, en plus d’avoir le mérite d’être disponibles, ont celui d’être réutilisables. On fait le point sur leur efficacité avec des acteurs concernés, à Nantes. 

Publié le 12 mai 2020
Par Nolwenn Perriat
Photo : Extrait de la vidéo The Mask réalisée par des soignant.e.s du CHU de Nantes présentant les bons gestes du port du masque.
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Face à la pénurie de matériel de protection, notamment en masques et surblouses, dès le début de l’épidémie de Covid-19, de nombreuses initiatives solidaires ont vu le jour pour en fabriquer avec les moyens du bord, c’est-à-dire en tissu, lavables et donc réutilisables. Parmi ces initiatives, les Couturières solidaires 44, un réseau de plusieurs centaines de couturières ont fabriqué et donné plus de 2000 masques, notamment aux soignants. Un autre réseau de couturières, l’antenne nantaise de l’association Over the blues, a cousu et livré environ un millier de surblouses en tissu pour les personnels de la santé. Une nécessité face à l’urgence et au manque, mais pas seulement : « L’idée est aussi de travailler dans le durable, en faisant travailler des entreprises françaises, et de changer nos façons de raisonner pour éviter le jetable en réutilisant des matériaux, comme de vieux draps », explique Priscille de la Haye, responsable d’Over the blues à Nantes.


« Le masque devient utile lorsqu’on ne peut pas être à un mètre de distance. »


Des normes et des filtres

Mais pas facile de changer les mentalités quand un doute persiste sur l’efficacité de ces équipements. Un doute porté notamment par le flot continu d’informations, parfois contradictoires, déversé ces dernières semaines à leur sujet. Pourtant, le réutilisable est en mesure de protéger lui aussi, notamment si le modèle respecte les préconisations de l’Afnor, association française de normalisation, qui a mis en place depuis le 27 mars un cahier des charges réalisé par des experts (laboratoires, CHU, marques…).

En vue du déconfinement, Nantes Métropole a commandé 600 000 de ces masques en tissu grand public labellisés Afnor*, qui ont été fournis gratuitement aux habitants. Peut-on faire confiance à ces masques en tissu lavables (retrouvez d’ailleurs en bas de l’article des conseils de lavage) ? Il existe deux catégories, deux modèles Afnor, qui se distinguent essentiellement par le nombres de couches de tissu qu’ils comportent. Ceux de catégorie 1 filtrent plus de 90% des particules émises d’une taille supérieure ou égale à 3 microns, se rapprochant ainsi des masques chirurgicaux (les fameux masques en papier bleu portés par les soignants) les filtrant à 98%. 

Des masques en tissus en cours de fabrication par une couturière bénévole des Couturières solidaires. (© Victor Noël)

Le modèle de catégorie 2, celui qui est distribué à la population, filtre quant à lui 70% des particules. Une moindre efficacité technique, certes, mais « pour le grand public, en respectant les gestes barrières, c’est largement suffisant”, martèle le professeur Didier Lepelletier, chef du service de bactériologie-hygiène hospitalière du CHU de Nantes et membre du conseil scientifique de la Société française d’hygiène hospitalière. Filtrer les particules de 3 microns, est-ce vraiment suffisant pour faire barrage au virus ? Le virus est véhiculé dans des micro-gouttelettes, de tailles largement supérieures à celle du virus lui-même, c’est pourquoi le masque assure bien une capacité de rétention, en complément des gestes barrières” rappelle l’Afnor sur son site, qui propose aussi une liste des confectionneurs labellisés près de chez vous.

Dis moi comment tu mets ton masque…

Mais ce qu’il faut retenir surtout, c’est que le niveau d’efficacité d’un équipement dépend de son utilisation. Quel que soit le masque, tissu ou chirurgical, si la personne qui le porte ne s’est pas lavé les mains avant de le mettre, le touche sans arrêt, ou le porte plus de quatre heures, son efficacité sera très réduite. Une vidéo humoristique réalisée par des soignants du CHU de Nantes et vue plus de 3 millions de fois, présente les bons gestes, à reproduire pour porter un masque en toute sécurité. « Les protections les plus efficaces restent malgré tout la distanciation et le lavage des mains régulier, soutien Didier Lepelletier. Le masque devient utile lorsqu’on ne peut pas être à un mètre de distance et dans ces cas là, celui en tissu est tout à fait recommandé pour les non-soignants. »


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Et pour les professionnels ?

Même au sein de l’hôpital, le réutilisable a une place, avec quelques limites. Pour les surblouses, qu’elles soient jetables ou lavables, l’efficacité est identique. Habituellement, ce sont même les surblouses lavables qui sont les plus utilisées. Mais en période de crise sanitaire avec de gros risques de contagion, le jetable est privilégié, pour une autre raison : « Nous avons ressorti des surblouses en tissu pour faire face, mais le problème dans ce cas est qu’il faut avoir trois fois le stock nécessaire pour n’utiliser que du tissu, le temps qu’elles fassent les aller-retour à la blanchisserie”, précise Didier Lepelletier. 

Si les fameux masques FFP2, rendus célèbres par la crise sanitaire, ne peuvent pas être réutilisés car ils ne supportent pas le lavage, les masques chirurgicaux le pourraient, un jour. Néanmoins, « en milieu hospitalier, je suis contre l’usage des masques plusieurs fois à cause du risque infectieux, explique Didier Lepelletier qui a écrit un avis sur le sujet. Mais dans l’industrie ou l’agroalimentaire qui en utilisent également, pourquoi pas, si les processus de lavage et de stérilisation sont au point, mais ce n’est pas encore le cas. » 


“Le virus est véhiculé dans des micro-gouttelettes, de tailles bien supérieures au virus.”


Au-delà des questions infectieuses ou environnementales se posent aussi des problématiques économiques et organisationnelles. Un masque chirurgical (hors période de pénurie) ne coûte quasiment rien alors que sa stérilisation coûte entre 5 et 20 €. « Au CHU de Nantes, l’un des plus gros de France, nous produisons 11 tonnes de déchets par jour et 12 tonnes de linges divers partent à la blanchisserie, ajoute Didier Lepelletier. Réutiliser les masques lavés signifierait mettre à disposition une poubelle supplémentaire pour les soignants (qui en ont déjà deux) et toute une chaîne spécifique protégée de la contagion jusqu’au reconditionnement. Il y a un équilibre à trouver entre le jetable et le réutilisable qui est plutôt bon aujourd’hui selon moi. » ♦

En complément

* Les masques commandés par Nantes Métropole ont été en partie fabriqués au Portugal. Une pétition a été lancée début mai par la ressourcerie de matières premières Stations Services, pour demander à la collectivité plus de reconnaissance envers le travail fourni bénévolement par les couturières, et notamment de “réserver, à l’avenir, une partie des achats de masques grand public aux actrices locales de la confection textile. Le code des achats publics le permet jusqu’à hauteur de 25 000 € HT”. Dans un communiqué de presse paru fin avril, la métropole nantaise a lancé un appel à tous les acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire ainsi qu’au secteur industriel pour développer au plus vite une production ligérienne de ces protections en tissu. 

 

Rappels utiles sur la bonne utilisation des masques en tissu

→ Se laver les mains avant de mettre le masque. Après utilisation, le retirer par les lanières ou élastiques et se laver les mains à nouveau.
→ Ne pas toucher son masque durant son emploi, sinon se laver les mains au savon avant de l’enlever et de le replacer.
→ Sa place sur le visage : se couvrir le nez, la bouche et descendre sous le menton avec le masque en tissu au plus proche du visage.
→ Changer le masque dès qu’il est mouillé ou souillé. Dans tous les cas, ne pas porter plus de 4 heures le masque en tissu.
→ Pour le réutiliser, le laver en machine pendant 30 minutes à 60 degrés, avec un détergent. Vous trouverez à la fin de cet article de vérification d’infos de quoi vous rassurer sur les possibilités de lavage.

 

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