Rencontre avec le mouvement les Soulèvements de la Terre | Les Autres Possibles

Rencontre avec le mouvement les Soulèvements de la Terre

Le jeune mouvement les Soulèvements de la Terre, fondé en 2021 sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, s’est donné pour but de rassembler et d’amplifier les luttes locales écologistes. 

Article publié en mars 2023
Mis en ligne le 11 juin 2024
Par Mathilde Doiezie
Illustration : Hélène Defromont
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Fin octobre 2022, plusieurs milliers de personnes étaient rassemblées à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, pour manifester contre les bassines, ces retenues d’eau artificielles mises en chantier un peu partout pour permettre à l’agriculture de faire face au changement climatique. Lors de cette première manif à Sainte-Soline, les grilles du chantier d’une des méga-bassines ont été démontées, et des canalisations sectionnées. Le ton était donné.

À l’origine de ce rassemblement, le collectif local Bassines non merci, mais aussi les Soulèvements de la Terre. Depuis un an et demi, les Soulèvements de la Terre prennent part à un maximum de luttes écologistes : contre Monsanto près de Lyon, pour défendre des jardins populaires à Rennes, ou encore contre des sites du cimentier Lafarge au nord de Paris…

« Il ne nous reste aujourd’hui plus d’autre voie que de mettre toutes nos forces dans la bataille pour enrayer le désastre en cours, et abattre le système économique dévorant qui l’engendre », annonce le mouvement en page d’accueil de son site internet. Les Soulèvements de la Terre ont vu le jour début 2021, à Notre-Dame-des-Landes. Thomas, 45 ans, nous y reçoit, cinq ans jour pour jour après l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport. Originaire de l’est de la France, il vit ici depuis un peu plus de dix ans. Impliqué dans des luttes anticapitalistes, la création de lieux autonomes ou de squats, il était venu prêter main forte à la Zad en occupant le territoire. Désormais il est très engagé dans les Soulèvements de la Terre. « Pendant des années, des gens sont venus de partout faire des actions à la Zad. Quelque part, on leur est redevables. »

Les Soulèvements de la Terre recrutent largement les membres et les soutiens. Parmi les signataires de la première tribune, on retrouve aussi bien les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, Attac, Extinction Rebellion, que des collectifs paysans de toute la France et des collectifs de luttes écologiques locales. « Notre intention était de réunir des mouvements anticapitalistes et écolos autant que des mouvements bien implantés comme des ONG ou des syndicats, des collectifs qui luttent localement, mais aussi toute cette jeunesse qui s’était retrouvée dans la rue pour manifester sur le sujet du climat et qui n’avait pas été entendue par le gouvernement Macron », explique Thomas. Et ça a marché. Désormais, tous les six mois, des représentant·es des différentes organisations se retrouvent pour définir le calendrier d’action du semestre à venir. Des personnes s’engagent pour assurer, le temps d’une « saison », le suivi des collectifs locaux soutenus par les Soulèvements de la Terre, assurer la logistique ou la communication.

L’objectif des Soulèvements est de répondre à l’enjeu écologique en s’attaquant principalement à deux phénomènes : l’artificialisation des terres et leur accaparement par l’agro-industrie. Pour lutter, la désobéissance civile fait partie de l’arsenal, avec trois types d’action : l’occupation des terres, le blocage de chantiers et le « désarmement » d’industries « écocidaires », ce que d’autres nomment « sabotage ». « Les recours juridiques et les manifestations sont nécessaires, insiste Thomas. Mais ils ne sont pas suffisants. » Pour le militant, désobéir est parfois indispensable. En quête d’efficacité, Léna Lazare a rejoint le mouvement. Originaire du Pas-de-Calais et installée à Nantes, la jeune femme de 24 ans trouve cette façon de militer plus concrète que ce qu’elle faisait auparavant. Étudiante, elle s’était investie dans sa fac pour réclamer un module d’enseignement des enjeux écologiques, et dans la recherche de fonds pour la transition écologique-sans succès dans les deux cas. Elle dit avoir fait face à beaucoup d’inertie administrative ou institutionnelle : « C’était fatigant qu’il soit aussi compliqué d’obtenir des avancées basiques, on nous prenait souvent pour des imbéciles. C’était le moment des expulsions à Notre-Dame-des-Landes et cela m’a convaincue d’agir en dehors du système pour le faire plier. » Au même moment, Greta Thunberg lançait ses grèves pour le climat, et Léna s’est impliquée dans Youth for Climate France, au point de s’en faire la porte-voix dans les médias. « Mais à part la Convention citoyenne pour le climat, on n’a pas gagné grand-chose, et encore, c’est un échec », conclut-elle. Youth for Climate a alors réfléchi à des moyens plus efficaces de faire pression, en s’impliquant davantage dans des luttes locales, jusqu’à participer à la première assemblée des Soulèvements de la Terre.

Le choix des luttes à soutenir est fait en commun. « On intervient auprès de personnes qui ont essayé diverses voies, à un moment où elles ont besoin de soutien pour passer un seuil », précise Thomas. Par exemple, les membres du collectif La Tête dans le sable, qui lutte contre l’extension de deux carrières de sable à Saint-Colomban, en Loire-Atlantique. « Dans la commune, le sujet était devenu une gué-guerre entre personnes, il n’y avait plus de débat possible, raconte Martin Boileau, agriculteur local impliqué dans le collectif. Les Soulèvements de la Terre sont venus nous aider à organiser nos premières manifs, leur juriste nous rassurait sur les responsabilités en nous disant qu’ils prendraient les choses en main si besoin. Ils nous ont mis le pied à l’étrier, et leur réseau a permis de faire parler de notre lutte. » C’est là l’un des atouts des Soulèvements : faire rayonner les luttes, grâce à une force de frappe organisationnelle et médiatique, ainsi qu’à tous leurs contacts, militant·es de près ou sympathisant·es de loin. Martin apprécie d’ailleurs toutes ces « rencontres, avec des jeunes comme des vieux, qui ont d’autres idées et moyens de faire ». Impossible ainsi de « réduire les Soulèvements à un groupuscule », balaye Thomas, alors que les services de renseignements ont laissé fuité une note, fin décembre 2022, démontrant une surveillance rapproché du mouvement, et après une déclaration de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, parlant de modes opératoires « écoterroristes », à Sainte-Soline fin octobre.

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