Killian Pelletier : “Je préfère mettre mon dessin au service de projets communs” | Les Autres Possibles

Killian Pelletier : “Je préfère mettre mon dessin au service de projets communs”

Chaque numéro des Autres Possibles est illustré par un ou une artiste nantais·e différent·e. L’occasion de découvrir le travail des graphistes, illustrateur·rices et peintres du territoire mais aussi d’en apprendre plus sur leurs parcours et leurs inspirations dans une interview menée chez eux ou dans leur atelier, et publiée ici après la sortie de chaque nouveau numéro.

Publié le 20 juillet 2023
Propos recueillis par Marie Bertin
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Vous avez peut-être déjà croisé son travail en librairie, à Nantes, Paris ou ailleurs : Killian Pelletier, illustrateur du numéro #41 des Autres Possibles, a cofondé Novland, une belle revue dépliante, au format tout en longueur, qui invite des artistes à s’emparer du sujet politique pour s’essayer au dessin satirique et vulgariser les sciences sociales. Installé à Nantes depuis 2020, ce membre de l’atelier Projéta, également professeur d’illustration, met d’abord son travail aux services de travaux collectifs. Rare sont les “projets perso” de Killian, mis à part quelques carnets de voyage…

Quelle était ton intention en créant Novland ?

Le but était vraiment de faire une revue satirique. On était aux Arts déco, et on nous poussait à regarder des images, toutes sortes d’images, pour réfléchir à la façon dont nous pourrions renouveler tel ou tel genre. Avec d’autres étudiants, on trouvait que le dessin satirique, dans ses styles existants, était à la fois touchant et un peu vieillissant… Donc on s’est donné pour défi de le réinventer. Cela venait aussi de notre rapport à l’actualité : on avait envie de s’attaquer au langage politique, à la “novlangue” [le nom de la revue est une référence à la Novlangue : un langage anticipé par Georges Orwell dans son livre 1984, dont le concept est d’épurer la langue des mots négatifs, afin de ne plus permettre à ses utilisateurs de penser la critique du régime, NDLR], tout en valorisant les sciences sociales. Il faut dire aussi que dans les écoles d’arts, les étudiants entretiennent un rapport privilégié au fanzine, qui permet de se frotter à de nombreuses pratiques tout en restant une forme très libre et simple à mettre en oeuvre : de ce fait, il est très formateur d’un point de vue professionnel. 

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Tu fais également partie de l’atelier Projéta, fondé en 2020 à Nantes…

Oui, même si je suis loin d’y être aussi actif que je le souhaiterai. J’ai rejoint Projéta en 2020, en arrivant à Nantes. Il se trouve que les cofondateurs du lieu sont des copains des Arts déco de Strasbourg, pour une bonne dizaine d’entre eux. C’est un super projet, à la fois espace de coworking, de sérigraphie, et dont le collectif soudé développe aussi toute une diversité de projets artistiques communs. Mais en ce qui me concerne, c’est le professorat et Novland qui occupent la majeure partie de mon temps. 

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Novland, Projéta, tes travaux de fresques aux côtés des élèves… Que t’apporte le fait de travailler principalement en collectif ?

C’est vrai, je préfère mettre mes compétences et mon dessin au service de projets communs, ou qui servent la diffusion des savoirs d’une façon générale. Je ne suis pas tellement intéressé par le fait de “développer mon propre univers”… comme disent les artistes ! Je produis pour mettre à disposition : je laisse volontiers quelqu’un d’autre changer les couleurs de ma composition, recadrer, ou coller par-dessus ce que j’ai fait. Parce que j’aime l’émulation collective avant tout. Chaque nouveau numéro de Novland, par exemple, m’offre ça et ça me comble. Le professorat s’inscrit là-dedans aussi. C’est ce qui fait sens pour moi : apprendre, puis transmettre une idée apprise, avec le dessin. En ce moment, par exemple, je suis fasciné par le monde des coachs… C’est un vrai phénomène de société, rendez-vous compte, on trouve même des coachs de coach ! Je trouve que cela dit quelque chose de notre époque, je me dis qu’il y a sans doute beaucoup à apprendre et à comprendre autour de ce sujet, et à transmettre ensuite…

« Je ne suis pas tellement intéressé par le fait de développer mon propre univers”

N’y a-t-il pas tout de même un projet que tu mènes de façon plus personnelle ?

Mon seul projet perso, ce sont des carnets de voyage. Ça c’est mon truc : je suis capable de faire un voyage uniquement pour le carnet ! Comme cette fois où je suis parti en train jusqu’à Narvik : la gare la plus au nord du monde. Même si ce but est complètement anecdotique : le projet s’appelle Carnets de Trains et je ne dessine que dans le train en observant les voyageurs et en regardant les paysages défiler. Le voyage est vraiment un prétexte, support du projet de dessin. Mais à la différence des projets collectifs, je vois dans ces carnets le simple fait de dessiner sans finalité, simplement pour le plaisir. 

Parlons maintenant de ton trait de dessinateur, notamment de tes personnages typiques : de larges corps, des têtes étroites et des membres exagérément longs, courts, gros ou petits… Sais-tu d’où te vient ce goût de la disproportion ?  

Je dessine les personnages en fonction de ce qu’ils doivent dire ou faire : je privilégie volontairement un dessin fonctionnel. Donc je commence à dessiner par la partie dont j’ai besoin : si c’est le bras, je commence par là. C’est drôle parce que j’ai justement rêvé cette nuit qu’on me disait que je dessinais mal les personnages… [ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ! NDLR] et j’expliquais que mon but n’était pas de dessiner le vrai, la réalité, mais plutôt la justesse de la position, du mouvement, ou de l’humeur. Les petites têtes sont liées à ça aussi : je les dessine petites parce que je mets l’intention d’un personnage d’abord dans sa silhouette. Par ailleurs, j’essaye de réduire mon dessin au minimum de trait nécessaire, je pratique une sorte de minimalisme du dessin. Depuis toujours, finalement, je me fiche de bien dessiner. 

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As-tu identifié tes sources d’inspirations ? 

J’ai clairement été influencé par la BD franco-belge, les travaux de Saul Steinberg ou encore les gravures de Félix Vallotton. Dès que je trouve des images à la limite de l’abstraction, où l’on voit quand même ce qui se passe, où l’action est claire bien qu’à peine suggérée, je suis intéressé. J’aime l’idée de ne pas tout donner à voir, de laisser le public réfléchir à la scène qu’il observe.  

La sérigraphie est une autre technique récurrente dans ton travail : peux-tu nous expliquer pourquoi ?

J’ai expérimenté la sérigraphie pour la première fois aux Arts Décoratifs de Strasbourg, où il y a une vraie culture autour de cette technique et du bon matériel à disposition, dont chacun peut s’emparer facilement et aussi souvent que souhaité. Je le précise parce que c’est important : il y a des écoles où il faut s’inscrire, prendre rendez-vous pour avoir accès à tel ou tel outil… Dans mon cas, cet accès simplifié a été déterminant. La sérigraphie implique de travailler par couches successives de couleurs et la conséquence sur mon travail, c’est que j’utilise peu de couleurs, car en sérigraphie, elles coûtent cher en temps et en argent ! Donc il faut être économe… Plus tard, quand je suis passé au numérique, j’ai gardé ça : le travail par couleurs successives avec une palette réduite, et je continue d’utiliser des scan de dessins, textures ou teintes faites à la main.

Le parcours de Killian, en bref →

Killian Pelletier a débuté sa formation d’artiste par un Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique (DNSEP, niveau Master) à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg, obtenu en 2017. C’est durant cette formation qu’il a cofondé la revue Novland, en 2015. Il a ensuite complété ce diplôme par une formation au sein d’un Centre de formation des plasticiens intervenants (CFPI), afin de pouvoir proposer des interventions artistiques.

À noter : sa nomination au prix de la bande dessinée alternative, au festival International de la bande dessinée d’Angoulême, pour la revue Novland n°6 (2020). 

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