“Produire un livre, c’est un prétexte pour aller vers l’autre” | Les Autres Possibles

Produire un livre, c’est un prétexte pour aller vers l’autre”

Chaque numéro des Autres Possibles est illustré par un ou une artiste nantais·e différent·e. L’occasion de découvrir le travail des graphistes, illustrateur·rices et peintres du territoire mais aussi d’en apprendre plus sur leurs parcours et leurs inspirations dans une interview publiée ici après la sortie de chaque nouveau numéro.

Publié le 14 avril 2023
Propos recueillis par Anouk Vassal
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Artiste, autrice, mais également interprète en langue des signes française, Hélène Defromont a d’abord fait les Beaux Arts avant de se tourner vers le théâtre gestuel. Aujourd’hui, elle écrit et dessine des romans graphiques qui mêlent introspection et questions féministes. Dans son premier livre, L’effet mère et les non-enfants, paru en 2020, elle explore son propre rapport au désir d’enfant. Hélène Defromont travaille actuellement sur un second roman.

Peux-tu nous présenter le projet de roman graphique sur lequel tu travailles actuellement ?

La BD parle de la difficulté d’aimer et d’être aimé·e dans le monde dans lequel on vit, en particulier dans les relations homme – femme. Le personnage principal, René·e, est prête à se sacrifier pour maintenir sa relation avec le personnage de IL, que je dessine sous forme d’une simple silhouette et dont on ne connaît jamais les émotions. J’utilise des clefs de lecture féministes pour décortiquer leur relation et en faire apparaître le cadre hétéropatriarcal. Je me demande ce que signifie aimer, à partir de quel moment une relation amoureuse devient aliénante, etc. 

Le personnage de René·e a émergé à l’été 2022 et c’est le défi #Inktober à l’automne dernier [2022] qui m’a amené vers sa forme graphique actuelle. C’est un défi international sur les réseaux sociaux qui consiste à créer chaque jour un dessin à partir d’un mot donné. De mon côté, j’ai répondu à l’appel du Planning familial de la Creuse pour participer à leur Inktober féministe. C’est un exercice artistique qui a été très intense puisque certains jours j’ai réalisé des planches allant jusqu’à quatre illustrations. Et c’est là que j’ai dessiné le personnage de René·e pour la première fois. À ce jour, j’ai réalisé le crayonné de quatre des cinq chapitres qui composent le livre, j’aimerais en achever l’écriture courant 2023. 

© Gentilles mais pas que… – Hélène Defromont

L’effet mère et les non-enfants était très autobiographique, est-ce à nouveau le cas pour ce nouveau roman ? 

C’est vrai, L’effet mère et les non-enfants est presque uniquement basée sur mon vécu, parce qu’à ce moment-là, j’avais besoin de transcrire dans le récit ce questionnement, ce désir d’enfant, qui m’a quand même occupée pendant 10 ans… Cette nouvelle BD s’inspire également de mon vécu, mais avec plus de distance. D’ailleurs, j’ai traversé une longue période de questionnement pour ce projet : je me suis demandée comment doser la part de personnel, de vécu, et la part de fiction dans le récit.

Écrire à partir de soi est un travail qui m’aide vraiment à digérer mon vécu, à poser le dilemme dans quelque chose de tranquille… mais pas seulement. Je pars du “je”, du cas particulier, pour aller ensuite vers le général, le politique. Raconter son propre cheminement permet toujours de dépasser le cas personnel, c’est une sorte de transcendance. En fait, produire du contenu, c’est un peu entrer en médiation et dans l’échange. C’est un prétexte pour aller vers l’autre et pour recevoir les histoires des autres. 

© Extrait L’effet mère et les non-enfants – Hélène Defromont

Le féminisme a une place centrale dans ce prochain roman, est-ce que cela a toujours été le cas dans ton travail et ta vie en général ?

Mon entrée dans le féminisme est assez récente. J’ai commencé à réellement me revendiquer comme féministe en 2019, mais ma première prise de position sur le sujet s’est faîte à l’occasion de la publication du premier numéro d’un fanzine, “Féminine·niste”, à la sortie du premier confinement. Le féminisme est un mouvement très large et je ne m’identifie pas à toutes ses branches, notamment les TERF [acronyme de Trans-exclusionary radical feminist, mouvement féministe qui exclue les femmes Trans des luttes féministes, NDLR]. Je suis pour un féminisme qui se fait avec les hommes. Dans les caféministes que j’ai créés dans la Creuse, les hommes ne sont pas exclus. Je pense que l’on a aussi besoin de les inclure pour changer le sexisme. Aujourd’hui, la question du féminisme est centrale dans mes livres : ce qui m’intéresse, c’est de regarder où est le patriarcat, dans quels mots, dans quels comportements.

 

Certaines planches du fanzine dont tu parles ont été réalisées avec du sang menstruel, quel sens tu donnes à ce geste ?

J’ai été inspirée par le film de Alexandre Jodorowsky, Psychomagie, un art pour guérir, qui fait peindre des femmes avec le sang de leurs règles. C’est un geste qui tente de réhabiliter le sang des règles, pour le montrer comme quelque chose qui peut être beau. Le sang a une importance dans mon expérience personnelle, il représente la souffrance de ne pas avoir vécu de grossesse. 

Femme-baleine-Helene-defromont
© Femme Baleine – Hélène Defromont

Tu n’as pas toujours été autrice de romans graphiques, qu’est ce qui t’a amené vers cette forme de publication ? 

J’ai toujours pratiqué le dessin de manière personnelle, en parallèle d’autres pratiques artistiques. Le goût de la BD est né en 2017 avec les cours pour adultes de la Maison Fumetti [lieu nantais dédié à la promotion de la bande dessinée, NDLR]. Ces cours ont été un tremplin pour moi : ils m’ont donné confiance. J’ai osé me lancer comme autrice grâce à ça. J’ai également pu découvrir le monde professionnel de la BD et me rendre compte de sa réalité. Produire une bande-dessinée, c’est quelque chose qui prend beaucoup de temps, et il faut être prêt·e à passer des heures avec son sujet. Les cours m’ont aussi montré comment raconter une histoire et ne pas seulement présenter une succession de propos graphiques isolés.

Et puis, j’en étais arrivée à un stade où j’avais  envie de produire des objets livres, qui sont une façon de mettre en valeur les propos graphiques. C’est aussi une manière de dépasser le travail solitaire : pour mon deuxième roman, je viens de signer avec un agent littéraire. 

Par ailleurs, j’ai le sentiment que nous vivons dans un monde saturé d’images et de livres. Je souhaite faire des livres parce que j’y trouve un sens, sans rentrer dans un cycle de production. Le marché du livre est aussi un marché capitaliste, je pense que c’est important de s’interroger sur la manière dont l’auteur.ice peut-être pris dans un système commercial. 

 

Le parcours d’Hélène en bref → 

Après avoir suivi des cours préparatoires à l’Ecole supérieure d’arts appliqués et textiles (ESAAT) de Roubaix, Hélène Defromont s’est formée à l’Ecole supérieure d’art et de design (ESAD) de Reims, puis à l’Ecole nationale supérieure d’art (ENSA) de Bourges. Elle a ensuite rejoint l’école internationale de théâtre LASSAAD à Bruxelles, sur les traces de la pédagogie du geste de Jacques Lecoq, avant de suivre une formation en Langue des Signes Française puis un Master d’Interprétation. 

 

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