Tout va très bien madame la vigneronne ?
Longtemps dans l’ombre de leurs vignerons de mari, père, frère… les femmes gagnent peu à peu leur place dans le vignoble nantais, mais restent rares à la tête des exploitations.
Longtemps dans l’ombre de leurs vignerons de mari, père, frère… les femmes gagnent peu à peu leur place dans le vignoble nantais, mais restent rares à la tête des exploitations.
Marie Carroget, vigneronne de 39 ans installée à Vair-sur-Loire, est l’une des rares femmes cheffes d’exploitation du vignoble. L’ancienne brocanteuse parisienne, spécialisée dans le vin nature, a repris une partie des vignes de son père en 2020.
Depuis ses débuts, elle ne cesse de remarquer à quel point son genre lui complique la tâche. L’anecdote est révélatrice : peu après son installation, la Coopérative d’utilisation de matériel agricole (Cuma) ne l’autorise pas à emprunter un tracteur… « Parce que je suis une femme, je pense, on a soupçonné que je ne saurais pas l’utiliser. Alors que j’étais en galère parce que je passais trop de temps à tout faire manuellement. Quinze jours plus tard, un viticulteur voisin n’a eu aucun souci pour y avoir accès », raconte-t-elle. Elle remarque aussi, à force d’expériences, qu’on cherche toujours à discuter avec un homme, plutôt qu’avec elle, lorsqu’il s’agit de vinification et de travail du sol…
Selon Vin et société, lobby regroupant l’ensemble des acteurs du secteur en France, les femmes représentent 30 % des chef·fes d’exploitation en viticulture aujourd’hui. Et en Loire-Atlantique ? Ce serait beaucoup moins : « Sur 450 exploitations, les femmes à ce poste se comptent sur les doigts des deux mains, tout au plus », estime François Robin, responsable de la communication de la Fédération des vins de Nantes, qui revendique réunir « 99 % des exploitants du coin ». Une rareté due en grande partie à la législation française qui a longtemps effacé les femmes des vignobles et du secteur agricole en général. Ce n’est qu’en 1982 qu’elles ont obtenu le droit d’être associées d’une entreprise agricole*, ou de devenir cheffes d’exploitation. Mais « ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de femmes à d’autres postes clés, en cogérance ou à des postes de direction par exemple », complète le défenseur des vins de Nantes. Dans le vin, « on retrouve souvent des histoires de couples ou de duos entre femme et homme », abonde Louise Chéreau, 33 ans, porte-parole de la fédération, elle-même associée à son père au domaine Chéreau Carré, à Saint-Fiacre-sur-Maine. Une association qui simplifie sans doute les choses. « Au sein d’un couple ou d’un binôme, il n’y a pas forcément de problème à se faire respecter, mais en tant que femme seule sur un domaine, c’est plus compliqué », estime Marie Carroget.
Louise Chéreau affirme ne s’être « jamais sentie défavorisée en tant que femme ». « Mon but, ce n’est pas d’être acceptée dans un milieu d’hommes, mais de faire mon travail comme je l’aime, balaye-t-elle, mais comme je ne me sens pas agressée, peut-être que je n’y fais pas attention. » Forte d’une génération de plus, Anne Luneau, viticultrice associée à son neveu, à Divatte-sur-Loire, estime pour sa part que « depuis trente ans, les tabous sont tombés ». Elle est membre de l’organisation du prix Clémence-Lefeuvre, depuis sa création en 1993, un concours de muscadets sélectionnés par un jury de femmes. Elle se souvient, au départ, de l’absence de femmes présentant leur propre vin, contrairement à aujourd’hui.
Des avancées saluées par les deux femmes, qui font partie d’un monde du vin plus conventionnel que celui dans lequel évolue Marie Carroget, productrice solo de vin nature à partir de vignes en agriculture biologique : un nouveau monde, encore tout petit à l’échelle du vignoble nantais. Quand les premières remarquent surtout la complémentarité des femmes et des hommes, la seconde expose les discriminations subies. La vigneronne nature constate également que les femmes osant s’installer seules ont souvent des profils atypiques, voire sont étrangères au monde du vin : en reconversion professionnelle, parfois néorurales, faisant dans leur grande majorité le choix d’une viticulture écolo. Sur la dizaine de femmes seules à la tête d’une exploitation dans le vignoble, au moins sept sont installées en bio et/ou vin nature, selon notre décompte [voir la carte au dos du magazine].
Un schéma que tend à corroborer l’anthropologue Christelle Pineau, elle-même devenue vigneronne nature à Orée-d’Anjou (49), en 2021. Dans l’univers du vin nature, il y a une « inclination à vouloir dépasser les frontières établies qui se traduit d’une certaine manière sur le territoire du genre », écrit-elle dans un essai sur le vin nature **. En parallèle de leur travail sur l’exploitation, Marie Carroget et sa compagne ont lancé en 2019 le salon Canons, qui a pour particularité de ne mettre en avant que des vigneronnes de vin nature. Un espace permettant de créer « une nouvelle famille et d’aller vers un élan de sororité ». De son côté, la Coordination agrobiologique (CAB) des Pays de la Loire a lancé un « groupe femmes » en 2023 . Une idée venue après de nombreux échanges entre vigneronnes « qui ne se sentent pas forcément à l’aise tout le temps avec les hommes du milieu, qui ont fait face ou craignent de faire face à des violences ou du harcèlement », décrit Kady Sonko, responsable viticulture de l’organisation, à l’initiative de ce groupe. Ouvert également aux employées et cavistes, celui-ci s’est fixé plusieurs objectifs, dont celui de demander la parité dans les instances du monde du vin. « Même si la bienveillance a progressé, ajoute-t-elle, quand on est une femme dans le milieu agricole et notamment viticole, il reste à faire pour être entendue ou écoutée. »
* Elles pouvaient néanmoins s’installer seules avant cette date.
** La Corne de vache et le Microscope. Le vin nature entre sciences, croyances et radicalités, éditions La Découverte, 2019.
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