"La justice alimentaire reste un idéal" | Les Autres Possibles

« La justice alimentaire reste un idéal »

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Comment accéder à des aliments sains quels que soient ses revenus, son lieu de vie et sa culture ? Le géographe Julien Noël décrypte le concept de justice alimentaire.

Article publié en janvier 2022
Mis en ligne le 2 novembre 2023
Par Nolwenn Perriat
Illustration : Sophie Morille
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Julien Noël est chercheur à l’école d’agronomie de Gembloux à Liège et docteur e, géographie à l’université de Nantes. Il travaille notamment sur les circuits courts et sur la notion de justice alimentaire. 

NP : Qu’est-ce que la justice alimentaire ?

JN : Le mouvement « food justice » est né dans les années 2010 dans les milieux activistes des consommateurs urbains des pays anglo-saxons. Ce mouvement veut donner le droit à chacun d’avoir accès à une nourriture de qualité, remettre celle-ci au coeur de la vie citoyenne, en refaire un objet politique. C’est aussi une façon de pointer tous les dysfonctionnements dans les systèmes alimentaires. La justice alimentaire veut lutter contre les inégalités en rendant l’accès à des produits de qualité possible, d’abord physiquement − par des lieux de vente de proximité −, financièrement − avec des tarifs accessibles − et socialement −avec des denrées adaptées à la culture alimentaire de chacun. Mais la justice alimentaire a des significations différentes selon les pays et les préoccupations des citoyens. En Angleterre, c’est la santé qui prime alors qu’aux États-Unis, qui sont confrontés aux déserts alimentaires, ce serait plutôt l’accès aux points de vente. En France, nous parlons d’abord de qualité des produits, car nous avons une forte tradition gastronomique.

NP Qu’entend-on aujourd’hui par « des produits de qualité » ?

JN Pas forcément du bio, mais des produits locaux provenant plutôt de fermes paysannes.
Dans la région, nous avons un bassin très diversifié avec du maraîchage, de l’élevage, de la pêche, de la vigne… L’accès à une diversité de produits est plus facile qu’à Bordeaux, principalement entourée de vignes, ou à Caen, où le premier producteur en Amap est à 50 km de la ville. Pour parler de justice alimentaire, il faut d’abord évoquer la justice agricole. Qui nous nourrit? Comment? cher, trop bobo». Il y a bien sûr une notion de précarité financière, mais pas uniquement. L’information est essentielle. Savoir ce qu’il y a derrière un poulet à 3€ en grande surface et celui à 20€ sur le marché, cela permet de faire un choix éclairé ensuite. Souvent, quand les gens mettent le doigt dans l’engrenage du «mieux-manger», ils ne reviennent pas en arrière. La limite reste tout de même encore le pouvoir d’achat : tant que l’alimentation sera une variable d’ajustement sur le budget du foyer, même informer ne servira à rien.

NP Que pensez-vous de l’impact des initiatives qui cherchent à rendre accessibles les produits de bonne qualité ?

JN Il y a plein de petits dispositifs qui fonctionnent comme l’association Vrac, les paniers solidaires, les épiceries mixtes… mais on manque d’études sur le temps long, sur la durabilité du changement. D’abord, il faut arrêter la logique de la distribution alimentaire, où il y a un jugement, une obligation : «Il faut consommer ceci, pas le choix.» Il faut plutôt aller dans le sens d’une aide financière, pour que les gens se disent «j’ai acheté avec mes moyens, mais j’ai acheté en fonction de mes goûts et de ma culture», et retrouvent de la dignité, du sens… C’est aussi ça, la question de la justice alimentaire. Ensuite, pour que le changement persiste, il doit y avoir des moments de convivialité, car l’alimentation reste un plaisir.

NP Et que peuvent faire les institutions ?

JN Les collectivités ont un rôle à jouer. En favorisant l’approvisionnement en produits bio et/ou locaux dans les cantines scolaires, par exemple, ou en agissant dans le champ de l’urbanisme commercial pour favoriser le maintien des commerces de proximité.
Plusieurs dispositifs nationaux permettent de financer des initiatives autour de la justice alimentaire comme la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui finance notamment les Projets alimentaires territoriaux (voir ci-dessus), la loi Egalim de 2018 , qui parle de souveraineté alimentaire et de précarité, le Programme national pour l’alimentation en 2018-2019… C’est ensuite aux collectivités et aux associations de s’en saisir. Depuis la crise sanitaire, la précarité alimentaire est au cœur de beaucoup de politiques publiques, et des projets ont fleuri comme les Paysages nourriciers à Nantes. À voir si ces initiatives seront pérennes.

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