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Déchets : le recyclage, ce grand mirage

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Le développement d’une économie circulaire – où rien ne se perd, tout se recycle – peut-il réellement permettre d’en finir avec nos déchets et notre impact environnemental ? Pour le chercheur Jean-Baptiste Bahers, ce n’est pas si simple.

Article mis en ligne le 7 juillet 2023
Première publication septembre 2021
Propos recueillis par Marie Bertin
Illustration : Claire Schvartz
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Jean-Baptiste Bahers est géographe à Nantes, chargé de recherches au CNRS, spécialiste des politiques d’économie circulaire et de gestion des déchets. Il fait partie des rédacteur·rices de l’Atlas social de la métropole nantaise : un média universitaire en ligne dédié aux réalités sociales de l’agglomération, « au-delà de la ville attractive ». 

 

Marie Bertin : Le volume de nos déchets est-il en train de diminuer grâce à l’économie circulaire ?

Jean-Baptiste Bahers : C’est une question difficile. Je pense qu’il faut faire une distinction entre, d’une part, l’émergence d’une économie circulaire engagée – développement du compostage, réparation, ressourceries et réemploi en général…- et, d’autre part, le modèle du recyclage industriel, qui peut aussi être qualifié d’économie circulaire. D’un côté vous avez une économie qui réfléchit aux enjeux environnementaux et sociaux, et permet de faire baisser un peu le volume de déchets. De l’autre, un système de traitement mondialisé des matières récupérées des tonnes de métaux qui parcourent des milliers de kilomètres pour refaire du métal, des emballages, etc. et ne sert essentiellement qu’à réalimenter l’industrie. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce recyclage industriel ne permet pas fondamentalement de réduire notre « empreinte matérielle » : un indicateur important pour évaluer notre réel impact environnemental.

MB : À quoi correspond cette empreinte matérielle ?

JBB : C’est la quantité totale de matière première extraite pour satisfaire tous nos besoins de consommation. Actuellement on estime qu’un·e Nantais·e, par exemple, consomme en moyenne 14 tonnes de matière par an tout compris : matériaux de BTP, équipements, textiles… Cela comprend même sa part de matière utilisée pour créer et entretenir les réseaux routiers. Sur ces 14 tonnes, une tonne seulement sera recyclée. En outre, cette empreinte matérielle ne diminue pas, au contraire, elle augmente ! Autrement dit, économie circulaire ou non, nous vivons toujours dans une société d’accumulation, où il y a plus de biens achetés et conservés que de produits recyclés et réutilisés. Donc pour l’instant, l’économie circulaire n’a que peu de chance de parvenir à compenser cette empreinte. D’autant que nous continuons d’externaliser la production, c’est-à-dire de faire produire ailleurs ce que nous consommons ici.

MB : Vous pointez l’impact des biens importés ?

JBB : Oui. Ces biens cachent la part des ressources et de l’énergie utilisées sur d’autres territoires pour leur production. Ce sont les « flux cachés » de cette empreinte matérielle. Ce qui produit aussi des déchets qui ne transitent même pas par chez nous ! Par exemple, les déchets toxiques des mines de nickel, un matériau que nous retrouvons dans les smartphones, le maquillage… Pour produire 1 kg de nickel, on laisse sur place 14 kg de déchets. Ne devrait-on pas les récupérer pour nous en occuper nous-mêmes ? Pour Nantes Métropole, ces flux cachés ont augmenté de 46 % par habitant depuis 2000 et leur poids est colossal. Par exemple, un·e Nantais·e consomme 22 000 kg de matière en moyenne par an pour l’importation des appareils manufacturés [qui arrivent sur le territoire déjà transformés et assemblés, ndlr] !

MB : Comment le recyclage et le réemploi pourraient-ils compenser cette empreinte ?

JBB : À condition que la consommation de toute matière baisse franchement et que les filières de recyclage et de réemploi montent en puissance. Mais même dans ce cas, ce n’est pas si simple… On peut avoir l’impression qu’il y a une solution pour tous les déchets, qu’il suffit de mieux trier pour réutiliser, recycler ou valoriser. Mais pour les déchets du BTP par exemple, il reste parfois une toxicité résiduelle qui les rend définitivement inutilisables. Par ailleurs, certains maîtres d’ouvrage ne veulent pas avoir recours à des matériaux de réemploi de peur que leurs performances ne soient pas optimales… Le compost urbain pose aussi quelques problèmes : des agriculteurs sont de plus en plus réticents à l’idée de l’épandre sur leurs champs, en raison de sa qualité ou parce qu’ils estiment ne pas avoir à faire cet effort.

 

MB : Pire, utiliser le déchet comme ressource peut-il inciter à en produire ?

JBB : Si on parle d’économie circulaire engagée pour la sobriété, normalement, celle-ci peut se contenter de moins de déchets. Même si, pour être économiquement viable, elle a besoin d’un certain volume de matière. Par contre, si on suit le modèle industriel, dans une logique de croissance et d’accumulation, oui, on va devoir produire toujours plus de déchets pour alimenter cette économie. Mais la question se pose aussi à travers d’autres modèles. À titre d’exemple, la ville de Göteborg, en Suède, commence à importer des déchets de toute l’Europe pour l’incinérateur de son réseau de chaleur urbain : ces usines, où l’on brûle les déchets pour alimenter les réseaux de chauffage collectifs des villes, ont besoin d’en recevoir en permanence pour fonctionner correctement. Seulement, si tout le monde fait de même, y aura-t-il assez de déchets ? Est-on prêt à ce que le chauffage s’arrête en plein hiver si le volume de déchets à incinérer diminue ? D’un côté, on en appelle à produire moins de déchets, de l’autre, on crée un système de « valorisation » qui compte dessus…

MB : À vous entendre, on se dit qu’on est encore très loin du zéro déchet …

JBB : Effectivement, quand on regarde les résidus de la consommation globale, à une échelle collective, on s’aperçoit que notre mode de vie a toujours une très forte incidence. Il faut aussi noter qu’il existe des inégalités d’impacts, principalement en fonction du niveau de vie. Au regard de cette empreinte matérielle, l’impact des plus pauvres est bien moindre : ils mobilisent moins de matériaux du BTP notamment, ou encore produisent moins d’encombrants. Donc, au regard de ce constat, on peut se demander si les démarches individuelles, comme le zéro déchet, bien que positives, ne nous empêchent pas de nous poser la question de notre impact collectif.

 

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