Par Marie Bertin
Photo : «Je n’avais plus personne à qui m’accrocher», explique Franck, accompagné par les Petits Frères des Pauvres. (Stéphane Mahé/Les Autres Possibles)
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Franck, 61 ans, a des tatouages sur les bras, du mal à s’asseoir et à se lever, mais le sourire malgré tout. « J’ai été jockey, ouvrier dans une usine à bois, jardinier dans un château, et puis un jour, j’ai eu mon accident. » Une agression, plus précisément. Six mois de coma. Trois ans sans marcher. « J’ai dû arrêter de travailler. Au début les amis prenaient des nouvelles mais… Et avec la famille, je suis fâché. C’est comme ça. » Alors tous les jours, à l’heure où le soleil donne sur la porte de sa petite maison du bourg de Clisson, Franck se cale devant, sur sa chaise, clope au bec, seul.
En duo pour un solo
C’est là que Louis, 36 ans, en recherche d’emploi et bénévole aux Petits Frères des Pauvres, le trouve souvent quand il lui rend visite. « Je vis à Gorges, à 2 km, je viens une fois par semaine, je passe une heure, on discute, on joue aux cartes, on va se promener en ville. Parfois je l’emmène manger chez moi, en famille. Ça dépend de ses envies. » Être là pour Franck, c’est aussi lui rendre des services, comme appeler l’opérateur pour rebrancher Internet. Comme Louis, en France, 13 000 bénévoles sont engagés auprès des Petits Frères des Pauvres contre la solitude des plus de 60 ans. Ils accompagnent 36 000 personnes. « Mais, selon notre étude menée en 2017, 300 000 seraient totalement isolées à ce jour, explique Armelle de Guibert, la déléguée générale. C’est-à-dire sans aucune relation régulière avec au moins un cercle social proche : famille, amis, collègues, loisirs ou voisinage. On parle alors de “mort sociale”. » Quand on lui demande ce que les bénévoles des Petits Frères représentent pour lui, Franck confirme, tout sourire : « J’étais tombé dans un trou, ils m’ont ramené à la vie. »
Louis et Franck, ça fait six mois que ça dure. Mais il y a aussi Monique, retraitée, qui habite Vallet et rend visite au sexagénaire depuis déjà cinq ans. « On est toujours deux autour d’une personne, pour se relayer, pendant les vacances par exemple. » Elle se souvient : « Au départ, c’est la tutrice légale de Franck qui nous a fait signe. » Par définition, repérer l’isolement n’est pas simple. « L’appel vient souvent du personnel aidant ou soignant, notamment en Ehpad. Car, même au sein d’un établissement, on peut être très seul », explique Isabelle Bréchet, adjointe à la direction de l’antenne de Nantes. Une fois le mot passé, « on regarde si des bénévoles sont disponibles. » Comme on n’entre pas dans la vie de quelqu’un comme ça, « les nouveaux venus suivent un petit parcours de formation. Et durant l’accompagnement on maintient des réunions régulières, pour prendre des nouvelles. Ce cadre protège à la fois les bénévoles et les personnes suivies. »
Un ami, petit à petit
Car ça peut-être dur, aussi, d’accompagner. « Parfois le lien se tisse, parfois non, il n’y a pas d’automatisme, explique Gwénaëlle Cavalié, chargée de communication à l’antenne nantaise. On peut être décontenancé parce qu’une personne ne parle pas ou très peu, par exemple. Il faut accepter d’être présent, même sans un mot. Ce n’est jamais inutile. On a des retours d’aides-soignants qui nous disent que le soir d’une visite de nos bénévoles, une personne a mieux mangé, mieux dormi… » Du côté de chez Franck, la discussion va bon train. Pour Louis, « c’est une rencontre avec une altérité que tu ne choisis pas, mais qui se choisit au fur et à mesure. » Monique peut en témoigner, « à force, on est comme de vieux amis. Quand les gens sont attachants, on s’attache ! » Le cadre de la relation n’empêche pas la relation, en somme. « Le bénévole, parce qu’il est bénévole, reçoit aussi quelque chose, poursuit Isabelle Bréchet, ce n’est pas une position de condescendance. Et ça, c’est du côté de l’amour. » ◆
Infos utiles
→ La ligne Solitud’Écoute : 0 800 47 47 88, appel gratuit, 7j/7, de 15h à 20h, réservée aux personnes isolées de plus de 50 ans.
→ Une messagerie spéciale a été mise en place pour lutter contre l’isolement de nos aînés durant le confinement. On peut y adresser aussi bien un dessin, qu’un poème ou une chanson : unmessagepournosaines@petitsfreresdespauvres.fr
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