3 mars 2020
Propos recueillis par Marie Bertin
Illustration : Loïc Sécheresse pour Les Autres Possibles
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Sur la carte de notre numéro #26 « Voici venu le temps de loger les gens », nous avons répertorié les bidonvilles de l’agglo nantaise et recueilli le témoignage de leurs habitants, ainsi que de celles et ceux qui les accompagnent dans leurs démarches : militants, enseignants et professionnels de la santé.
Après son arrivée en France en 2008, Florin Dila a vécu neuf ans en bidonvilles autour de Nantes. Avec sa femme Ecsmira et ses enfants, ils vivent dans un logement depuis 2019. Dans cet extrait, il nous raconte son parcours.
Le départ
« Je suis parti de Roumanie à cause de la pauvreté. Là-bas, il n’y a pas de travail pour nous, en tant que Roms. On est discriminés par tout le monde. Les seuls boulots possibles sont vraiment des jobs d’esclave: nettoyer la merde des autres, pour rien. Il n’y a pas d’éducation. Et si tu n’as pas 15€ à glisser dans la poche du médecin, tu ne peux pas lui montrer tes enfants.
En arrivant, en 2008, c’était très difficile. On vivait dans des petites caravanes, des tentes, des cabanes qu’on construisait nous-mêmes. Pour le chauffage, on fabriquait un poêle et on récupérait du bois où on pouvait.
Ce qui me faisait mal, c’était de voir mes parents vivre comme ça. En quittant la Roumanie, on croyait trouver une vie meilleure, mais non. Honnêtement, je suis un peu dégoûté. »
« Tu attrapes deux trois trucs et c’est tout. Tu pars. »
Expulsions à répétition
« Le plus dur, ce sont les expulsions à répétition. J’en ai vécu une dizaine. Au début, c’était quasiment tous les trois mois. Je suis passé par des terrains à Carquefou, Saint-Julien-de-Concelles, Indre et Nantes: Malakoff, Pirmil, La Haluchère, le Hangar à bananes… À chaque fois, il faut tout recommencer.
Oui, c’est illégal de s’installer sur les terrains. On n’est pas contre la loi, mais on est bien obligés de se poser quelque part. On a la boule au ventre tous les jours. On passe notre temps à chercher de nouveaux terrains pour le cas où on est expulsés.
Parfois, tu as le temps d’emmener tes affaires, d’autres fois, en une heure, tout est détruit. Dans ces cas-là, tu attrapes deux ou trois trucs –une casserole pour faire la cuisine, des habits– et c’est tout, tu pars.
La délinquance, les vols, il y en a, oui, mais c’est parce que c’est impossible de s’en sortir autrement. Et puis les expulsions ne donnent pas envie de faire autrement. Moi, c’est ce que je pense. »
Caravane brûlée
« Ça s’est amélioré pour moi après mon incarcération de huit mois en 2017. En prison, j’ai été en contact avec l’association rezéenne Trajet. J’ai travaillé pour eux neuf mois en sortant. Pendant ce temps, j’ai eu un logement, seul, avec un colocataire. Je ne pouvais pas y faire venir ma famille.
Pour moi, dormir là alors que ma famille était à la rue était très dur. Puis, la caravane d’Ecsmira a brûlé, donc j’ai fait une demande pour un logement d’insertion, avec la même association. On a fini par avoir un nouvel appartement et je vis ici avec elle, mes trois enfants et ma mère. On paye le loyer. Et on a une demande de HLM en cours.
Maintenant, je travaille. Grâce à une formation, je suis peintre en bâtiment, et Ricardo, mon fils, va à l’école. Pour moi, le but c’est de bien nous intégrer, créer un avenir pour mes enfants, les mettre à l’abri. Même si ce n’est pas facile. En tant que Roms, on est mal vus un peu partout.
En fonction d’avec qui je suis, je n’en parle pas. Je ne veux pas retourner en Roumanie. D’ailleurs, on a laissé notre maison en partant. Depuis des gens l’ont squattée, il n’y a plus rien. Mais de toute façon, je ne pense pas que la situation des Roms ait changé là-bas. » ◆
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