Par Marie Bertin
Publié le 3 avril 2020
Illustration : Géraldine Polès pour notre numéro #19
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“Quand il a été question du confinement, on a dû annuler toutes les consultations, tout en sachant que le public qu’on reçoit a des fragilités. Les gens ont eu parfois des vies très difficiles. Il était évident que ça allait être compliqué pour certains d’entre eux, on ne pouvait pas ne rien faire”, rapporte Malika Darmoungar, la fondatrice et directrice d’AlterSoin 44, un centre de médecines complémentaires réservé aux personnes à faibles ressources, situé place de la Croix Bonneau, à Nantes.
Avec les psychologues du centre, elle a donc proposé sans attendre des rendez-vous téléphoniques de soutien pour leurs bénéficiaires. “C’est-à-dire, en priorité, pour ceux qui ont déjà consulté chez nous, soit environ 700 personnes habitant l’agglo nantaise et le département. Toutes ont reçu un message les invitant à nous joindre en cas de besoin. Ceci dit, on ne refuse pas d’aider une personne en détresse, d’où qu’elle vienne.”
Consultations gratuites
Quatre psychologues et psychothérapeutes consacrent donc une demi-journée par semaine chacun à ces consultations. “Ça se passe sur rendez-vous. C’est le thérapeute qui rappelle. Les échanges durent en moyenne 20 minutes”, précise la directrice. Comme tous les soignants intervenants à AlterSoin 44, les psychologues mobilisés sont bénévoles. Parmi eux, Lou Penthier, psychologue clinicienne : “Nos bénéficiaires sont des gens qui ne peuvent pas se payer de consultation en libéral. Ils devraient pouvoir se tourner vers les CMP, les Centres médico-psychologiques, mais ils sont totalement saturés. Il faudrait plus de structures gratuites ou accessibles. Aujourd’hui on fait du bénévolat pour pouvoir répondre à ce besoin.”
AlterSoin 44 est un centre de soins associatif créé en 2015 à Nantes dans le but de rendre accessible aux plus précaires les médecines complémentaires reconnues par l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé. Là-bas, on peut consulter un psychologue, un diététicien, un sophrologue, ou encore un ostéopathe pour un montant allant de 10 à 22 € la séance (contre 60 € en moyenne, dans le secteur libéral, pour une consultation chez un psychologue), à la seule condition d’avoir un quotient familial CAF inférieur ou égal à 700 €.
Mais les consultations téléphoniques mises en place dans le cadre du confinement actuel sont, elles, totalement gratuites. « Les difficultés psychiques d’avant coronavirus n’ont pas disparu et ces troubles sont d’autant plus importants à surveiller en ce moment, poursuit Lou Penthier. C’est particulièrement nécessaire aussi pour accompagner le stress dû au confinement. Enfin, indirectement, pour permettre de ne pas engorger les services d’urgence, car les personnes très anxieuses pourraient s’y rendre, à la recherche d’un contact humain.”
Un pied dans la réalité
Une anxiété face à laquelle, rappelle la psychologue, nous ne sommes pas égaux. “Les difficultés sociales et économiques sont des vecteurs de stress très importants. Ceux qui télétravaillent ou font la classe à leurs enfants gardent un lien assez fort avec la réalité sociétale. Quand on est au chômage ou retraité isolé, cela change la donne. Autre exemple : quand on a peu de ressources, en temps normal, on met en place des stratégies pour s’en sortir, comme faire ses courses à plusieurs endroits, se faire aider des proches, etc. Tout est beaucoup plus compliqué désormais. Et c’est une source de stress.”
« On a peu de données sur un confinement de cette ampleur. »
Que peut-on faire en seulement 20 minutes au téléphone pour faire baisser la pression ? “On n’a pas de baguette magique, mais c’est déjà pas mal de pouvoir accueillir les angoisses, de dire que c’est normal, qu’on a le droit d’être anxieux. Et de proposer des pistes pour aller mieux : garder un rythme, faire attention à sa consommation d’alcool et de drogues, ne pas passer sa journée sur les réseaux sociaux, etc.”, détaille la psychologue. Insomnies, troubles anxieux, dépression, les symptômes de ce stress dépendent des personnalités mais peuvent s’aggraver si on ne les prend pas en charge. Des études sur les impacts psychologiques d’un confinement ont déjà été menées dans le cadre d’épidémies antérieures comme celle de SRAS ou d’Ebola, analysées notamment par la revue scientifique The Lancet. “Certaines font état de troubles post-traumatiques apparus au bout de 10 jours suite à un confinement. Mais ce que l’on vit est inédit, on a peu de données sur un confinement de cette ampleur”.
Mesures d’impact
Justement, à l’initiative du laboratoire de psychologie des Pays de la Loire (LPPL), les chercheurs de l’Université de Nantes viennent de lancer un appel au niveau national afin de récolter le plus de données possibles sur les effets psychologiques de la crise sanitaire en cours. L’objectif annoncé est d’une part “de mesurer l’évolution du vécu psycho-social à travers le temps, mais aussi à évaluer l’impact d’après-crise” peut-on lire sur le site internet de l’Université de Nantes. Depuis le 20 mars, un questionnaire adressé à l’ensemble de la population est disponible en ligne. Une semaine plus tard, près de 600 réponses avaient déjà été réceptionnées.
Du côté d’AlterSoin 44, pour l’instant, pas de panique, l’affluence est tout à fait gérable : “On reçoit plusieurs coups de fil par jour mais on n’est pas débordés, tempère Malika Darmoungar. Cela dit, on commence à ressentir que, le temps passant, la charge émotionnelle et le nombre de personnes inquiètes augmentent.” Suite à la mise en place de ces consultations téléphoniques, l’association a également reçu des messages de remerciements de ses bénéficiaires, non pas pour prendre rendez-vous, simplement pour saluer l’initiative. “Ça n’a l’air de rien, remarque la directrice, mais savoir qu’il y a quelqu’un si besoin, c’est déjà un soutien.” ◆
Infos pratiques
→ En plus des consultations téléphoniques, AlterSoin 44 lance une newsletter spéciale confinement, avec des conseils et des exercices santé partagés par ses thérapeutes. Contacts : 09 53 89 15 60 / 4 Place de la Croix Bonneau, 44100 Nantes (locaux fermés pendant le confinement).
→ La ville de Nantes a également mis en place une cellule d’écoute et de soutien psychologique, ouverte à tous. Depuis le samedi 4 avril, il suffit d’envoyer un mail à : ecoute.confinement@mairie-nantes.fr d’indiquer ses besoins et problèmes, et de laisser ses coordonnées téléphoniques pour être rappelé. Des professionnels municipaux du secteur de la santé, volontaires, sont mobilisés tous les jours, week-end compris, de 9h à 13h et de 14h à 18h.
→ La plateforme nationale de renseignement sur le Coronavirus 0800 130 000 étend également ses activités au soutien psychologique. Numéro vert, 24h/24 et 7j/7.
→ Le dispositif exceptionnel de conciergerie solidaire de la Croix rouge, La Croix-rouge chez vous, au 09 70 28 30 00, propose une écoute rassurante de la part de bénévoles formés (et/ou des livraisons à domicile de courses et médicaments sur ordonnance).
→ L’association Les Petits Frères des Pauvres, engagée contre l’isolement des personnes de plus de soixante sans lien familial ou amical, a renforcé sa ligne Solitud’Écoute : 0 800 47 47 88, appel gratuit, 7j/7, de 15h à 20h, réservée aux personnes isolées de plus de 50 ans.
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