Précarité alimentaire : des initiatives favorisent l'accès à une alimentation digne | Les Autres Possibles

Précarité alimentaire : des initiatives favorisent l’accès à une alimentation digne

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Manger bio, local et de saison, ce n’est pas (plus) que pour les riches. Soutenues par la Métropole nantaise, des initiatives favorisent l’accès à une alimentation digne.

Publié en janvier 2022
Par Hélène Biélak
Mise en ligne le 2 octobre 2023
Photographie : Jean-Félix Fayolle
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En regardant ses emplettes du jour, Josiane 80 ans, est satisfaite : « C’est moins cher que dans les grandes surfaces ! » Dans son panier se trouvent du cacao, du sucre, des haricots blancs et un pot de miel. C’est la première fois que cette retraitée aux petits moyens vient s’approvisionner à l’épicerie éphémère de l’asso Vrac (Vers un réseau d’achat en commun), à la maison des Habitants et du Citoyen, dans le quartier Bellevue à Nantes. Ici, une fois par mois, une cinquantaine de produits alimentaires et d’hygiène, en majorité bio et/ou locaux sont proposés en vrac à prix coûtant. Par exemple, il faut compter 90 centimes pour le kilo de farine de Missillac, 1,80€ les six œufs de La Chapelle-sur-Erdre ou encore 5,80€ le litre d’huile d’olive de Crète.

Ces prix, imbattables pour des produits de qualité, sont possibles grâce à des achats en gros et des négociations en direct avec les producteurs. Membre du réseau d’assos Vrac, l’antenne nantaise peut par exemple commander du cacao, du sucre ou du thé avec d’autres assos ailleurs en France. Le but est partout le même : proposer à des tarifs accessibles des aliments sains aux habitant·es des quartiers prioritaires de la ville. Et surtout, offrir un choix à celles et ceux qui, bien souvent, n’en ont pas. « Les gens sont fiers d’avoir accès à de bons produits. C’est aussi une question de dignité », constate Guillaume Hernandez, l’un des deux salariés de Vrac Nantes. Pour commander, il suffit d’adhérer pour 1€ ou 20€, en fonction de ses ressources.

Puis on choisit les produits et leur quantité, soit en ligne sur le site cagette.net, soit lors de l’une des deux permanences mensuelles. Il ne reste plus qu’à venir chercher sa commande à l’épicerie éphémère, qui ouvre une fois par mois. Huit mois après son lancement, l’asso nantaise est présente dans cinq quartiers de la métropole− Bellevue, les Dervallières, le Breil, Saint-Herblain Est et Bottière-Pin-Sec − et compte 180 adhérent·es.

LUNDI DES PAT, MARDI DES PAT…

Financée à 30% par Nantes Métropole, l’initiative s’inscrit pleinement dans le Projet alimentaire territorial (PAT), qui vise à relocaliser agriculture et alimentation. L’un des engagements est de « permettre à tous de manger à sa faim, sainement et équilibré ». Un enjeu de taille, dans une agglomération où plus d’un ménage sur cinq a déjà renoncé à acheter un produit alimentaire parce qu’il était trop cher (1). « On sait que l’alimenta-tion n’est pas qu’une question de comportements individuels», martèle Marion Gassiot, chargée de projets nutrition au pôle santé des populations de la métropole. « Pour le bien-manger, il faut avoir une offre alimentaire accessible à tous. » Elle rappelle que, dans l’agglo comme ailleurs, obésité et surpoids touchent davantage les personnes à faibles revenus. « C’est une question de justice sociale de donner l’accès à une alimentation saine dès le plus jeune âge, car on sait que les inégalités de santé se construisent dès cette période (2)

Pour les plus précaires, les freins pour mieux manger sont financiers mais aussi matériels- manque d’équipement pour cuisiner – ou culturels, comme ne pas savoir cuisiner certains produits bruts. Sans oublier une habitude qui a la peau dure : la viande placée au centre des repas, au détriment des légumineuses, moins onéreuses et tout aussi nourrissantes. Selon une étude du Crédoc (3) parue en 2018, les classes l es plus défavorisées sont aujourd’hui celles qui consomment le plus de viande (151 g par jour pour les ouvrier·es) alors que les CSP+ mangent davantage de légumes, de fruits ou encore de fromage (seulement 113 g de viande en moyenne). Depuis le début de la crise sanitaire, le volet du PAT consacré au bien-manger pour le plus grand nombre « est monté en puissance » dans les priorités de la Métropole, assure Dominique Barreau, chef du projet. Mais il nécessite un travail de sensibilisation. « Puisque le bio est généralement plus cher, il faut compenser par d’autres façons de procéder, comme baisser la part de viande ou privilégier les produits de saison, qui ont des prix plus intéressants. »

POTAGER DE RUE

Sur la question de l’accès aux fruits et aux légumes, les Paysages nourriciers ont apporté une première piste de réponse. Au printemps 2020, une cinquantaine de potagers dans les espaces verts nantais ont été créés avec l’impulsion du service Nature et Jardins. La récolte a ensuite été distribuée gratuitement aux personnes dans le besoin, via des associations et le CCAS. En 2021, l’opération a été renouvelée, mais recentrée sur 24 sites − la moitié gérée par les jardinier·es de laVille, l’autre par des assos – et a permis de récolter 18 tonnes de légumes. Ces potagers vont être pérennisés, pour produire toute l’année. Au centre socioculturel (CSC) de la Boissière à Nantes, une autre initiative a vu le jour au moment du premier confinement, au printemps 2020 : des paniers de légumes à 5€, au lieu de 10€ habituellement, pour les bénéficiaires de la Carte blanche (4).Quand ce tarif différencié a été mis en place, le nombre de paniers distribués a bondi de 10 à 50. « Ça nous a amené un public qu’on ne voyait jamais au centre : des hommes seuls, des personnes âgées qui sortent peu de chez elles… », témoigne Muriel Soulas-Maestre, directrice du centre.

PANIER CADEAU

Ces paniers, fournis par un maraîcher des Sorinières, ont une valeur réelle de 15€. Le CSC et la ville de Nantes les subventionnent à hauteur de 10€. « Les gens sont hyper satisfaits du goût et de la qualité des produits, certains ne vont plus en grandes surfaces», remarque Muriel Soulas-Maestre. Yolande, une retraitée du quartier de 65 ans, fait partie des conquis·es. « J’essaye d’acheter du bio, mais ça revient vite très cher. Franchement, un panier à ce prix-là avec des légumes de bonne qualité, c’est cadeau », lance-t-elle. Désormais, une douzaine de CSC Accoord proposent ces paniers de légumes à tarif solidaire.

Cela ne fait aucun doute : les initiatives pour favoriser l’accès de tous et toutes à des produits de qualité répondent à de réels besoins. Mais elles restent encore balbutiantes et touchent finalement assez peu de monde. « Il y a un vrai enjeu à ce que les PAT soient inclusifs, pour les populations fragiles, mais aussi pour les différents maillons de la filière. Pour travailler par exemple avec tous les agriculteurs, et pas seulement ceux qui produisent de manière durable, souligne Frédéric Wallet, économiste de l’Inrae (5), à Toulouse qui observe l’évolution de ces politiques alimentaires depuis leur création. Il faut faire attention à ce que les PAT ne deviennent pas un outil de niche et d’affichage politique, mais soient un réel outil de transformation de l’ensemble du système. »

 

(1) Synthèse de l’Agence d’urbanisme de la région nantaise (Auran) de 2018,« Comment nourrir les 630 000 habitants de l’agglomération nantaise avec une alimentation de qualité ? »
(2) Lire notre numéro #34, Et surtout, la santé !
(3) Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie
(4) Carte gratuite destinée aux Nantais·es ayant de faibles ressources qui donne accès à une offre culturelle et sportive à tarif réduit.
(5) L’Institut de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

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