"Les mecs, ils ont le foot. Et nous, on a quoi ?" | Les Autres Possibles

« Les mecs, ils ont le foot. Et nous, on a quoi ? »

Dans un milieu rural où les femmes doivent composer comme ailleurs avec les assignations de leur genre : la maison, les enfants, l’école… Le chant, très vite, devient le terreau qui fait germer les liens et fleurir d’autres initiatives militantes sur le territoire. Rencontre avec les membres de la chorale féministe Las Mariposas.

Article publié le 7 avril 2025
Par Mathilde Doiezie
Photographie : Karoll Petit
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« Les mecs, ils ont le foot. Et nous, on a quoi ? » Elles ont beau rire lorsqu’elles énoncent cette caricature, on sent que c’est un rire jaune : un rire qui cache une vérité. « Il n’y avait rien pour nous, pour nous retrouver entre femmes autour de Châteaubriant », résume Géraldine (pseudonyme), parée d’un pull violet, la couleur des féministes. Au conservatoire de la ville, qui prête une salle à la chorale depuis ses débuts quasiment sans discontinuer, plusieurs membres de la chorale Las Mariposas sont arrivées en avance en ce lundi soir de novembre. Certaines, réunies en commission, organisent le calendrier et la communication pour les prochains concerts. Pendant qu’ailleurs on discute tranquillement en attendant le début de la répétition.

Se retrouver à Châteaubriant, c’est pratique : central, ce lieu de rendez-vous évite aux unes et aux autres de faire trop de kilomètres depuis les hameaux et les villages alentour — Pouancé, Rougé, Moisdon-la- Rivière… Châteaubriant, 12 000 habitant·es, constitue le centre névralgique du pays de la Mée : un pays traditionnellement breton, dans le nord de la Loire- Atlantique, à mi-chemin entre Nantes et Rennes.

La région, principalement plate, est ponctuée de forêts et d’étangs. De larges champs, aussi. C’était un territoire de bocage, sévèrement grignoté comme beaucoup d’autres par le remembrement des années 1960-1970, qui a supprimé les chemins de traverse, élargi les parcelles, coupé les arbres et les haies pour faciliter le passage de machines agricoles de plus en plus imposantes. Ce remembrement a aussi eu pour effet une diminution drastique du nombre de travailleur·euses agricoles.

(RE)VENIR

Les membres de Las Mariposas se verraient bien prendre en étendard l’adjectif « péquenaud·e », qui moque la population rurale, et qu’une enfant du coin revenue y vivre, Juliette Rousseau, a récemment mis à l’honneur dans un ouvrage (Péquenaude, éd. Cambourakis, 2024) : elles aussi sont souvent revenues, après un détour de quelques années par la grande ville pour des études ou un premier boulot. Parce que la vie citadine ne leur sied pas, ou plus. Parce que les maisons ou les loyers sont moins chers ici. Parce qu’on peut y pratiquer une activité moins rémunératrice – ou moins travailler – sans trop rogner sur sa qualité de vie. Parce qu’elles ont suivi un conjoint et, parfois, sont restées malgré une séparation, parce qu’il y a un enfant en commun. Qu’importe, au sein de la chorale, on ne vit pas la campagne comme un déclassement. Pas forcément comme une fierté non plus, mais comme un état de fait qui, simplement, réclame le respect.

Le territoire de Châteaubriant est assez éloigné des deux métropoles – Rennes et Nantes – pour que sa population active ne contribue pas au phénomène de « cités dortoirs » et travaille plutôt sur place, à l’instar des membres de Las Mariposas : elles sont institutrices, orthophonistes, comédiennes, potières, infirmières, animatrices… ou font tourner les boulangeries, les Ehpad, les centres sociaux, les écoles de musique et les fermes. Ce qui les réunit au sein de la chorale, c’est leur envie que dans ce bout de campagne comme ailleurs – comme en ville, se permet-on d’écrire – il soit possible de vivre comme on l’entend, sans subir les assignations de genre. Alors, elles questionnent les normes qui s’imposent à soi lorsqu’on est une femme. Comme lorsque la maternité bouscule l’équilibre, finalement fragile, que certaines avaient cru trouver avec les hommes, point commun à plusieurs des membres de Las Mariposas. Toutes ne sont pas mères, certaines ne souhaitent pas le devenir ou ont depuis longtemps fini de materner, mais toutes ont fait du chant leur moyen de s’émanciper, en collectif. (…)