Publié le 14 mai 2024
Propos recueillis par Marie Bertin
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→ Les vies d’artiste vous intriguent, vous passionnent ? Ne manquez pas notr prochain rendez-vous public à Askip, sur l’île de Nantes, le 6 juin prochain : pour l’occasion, trois artistes nantais·es – le bédéaste Vincent Sorel, la peintre Cécile Aurégan et les graphistes du studio de création Appelle moi papa – viendront nous parler de leur métier. Comment parvenir à vivre de son art aujourd’hui, à Nantes ? Quels sont leurs conseils pour susciter la commande ? Parviennent-t-ils à trouver leur équilibre entre projets personnels et commandés ? Qui sont leurs clients ? Ils et elles répondront aux questions des Autres Possibles et aux vôtres entre 19h et 20h30 !
Arrivé en 2013 à Nantes avec la ferme intention de vivre de son art, la BD, Vincent Sorel a réussi son pari : en parallèle de ses publications personnelles, il multiplie les collaborations avec la presse illustrée et travaille actuellement à plusieurs nouveaux projets de BD qui confirment son talent pour l’illustration documentaire.
Pourquoi avoir choisi Nantes pour t’installer ?
Nantes grouille d’anciens des Arts déco de Strasbourg… Donc je suis venu ici d’abord pour retrouver des amis. Ce sont d’ailleurs principalement d’anciens étudiants de cette école qui travaillent autour de moi, à Oasis 4000, notre atelier. Mais le but était aussi de quitter Paris, pour m’installer dans une ville à taille plus humaine. Et puis, j’avais conscience de la dynamique intéressante à l’œuvre à Nantes pour un bédéaste : j’ai notamment pu participer à la création de Maison Fumetti, lieu nantais dédié à la BD, en 2016 et 2017. C’était très enrichissant de pouvoir donner la main pour concevoir des expos, monter les installations… Et j’y ai rencontré plein de gens !
Sur quoi travailles-tu actuellement ?
J’ai deux bandes dessinées en cours de réalisation ou finalisées, et qui vont sortir prochainement. L’une porte sur l’histoire des luttes féministes depuis la révolution française : sur ce projet, je suis illustrateur et je travaille avec la scénariste Séverine Vidal, avec qui j’ai déjà eu l’occasion de collaborer pour la publication de Naduah, qui raconte l’histoire vraie d’une américaine, Cynthia Ann Parker, enlevée par les Comanches à l’âge de neuf ans en 1836. Pour mon autre projet je suis à la fois scénariste et illustrateur. Il est consacré à la vie du pianiste de jazz français, Martial Solal. Cette bande dessinée, Martial Solal, une vie à l’improviste, est prête et sortira en juin.
Plusieurs de tes publications traitent de sujets historiques ou biographiques, et tu as également à ton actif de très nombreuses collaborations avec la presse illustrée, en particulier la Revue Dessinée, ou Topo. Finalement, l’illustration documentaire domine dans ton travail, est-ce un vrai choix de ta part ?
Je ne dirai pas que cela part d’une intention forte de ma part mais effectivement c’est quelque chose qui est devenu important au fil du temps. J’ai commencé un peu par hasard, au gré des rencontres et des commandes, et j’ai tiré le fil. En faisant ça, je pense que ce qui m’attire c’est le fait d’apprendre en permanence sur de nombreux sujets. Ceci dit, je reste très attaché à la fiction. L’un des projets qui m’a le plus porté est la réalisation de la bande dessinée Les aventures du roi singe, avec le scénariste Stéphane Melchior, qui mêle aventure, fantastique, humour, monstres… Nous avons réalisé trois tomes, et je ne m’en suis jamais lassé. Pour moi il y a un côté “récré” dans ce type de projet, qui m’offre un contrepoint. Fictions et documentaires, les deux sont complémentaires, et je ne dirai pas que je préfère l’un plutôt que l’autre.
L’un ou l’autre, cela fait-il une différence importante dans le processus de travail du bédéaste ?
La différence principale que je vois est que la BD documentaire m’oblige régulièrement à trouver des solutions narratives et graphiques pour parvenir à illustrer des concepts abstraits. Par exemple, pour raconter l’influence d’un tel sur une époque, ou pour illustrer des jeux de pouvoir. C’est particulièrement vrai pour mes collaborations avec la presse : ces trouvailles permettent alors d’éviter au journaliste d’avoir à écrire de longs textes pour expliquer la même chose. Mais ce n’est pas toujours évident !
Peux-tu nous présenter, de ton point de vue, le processus de fabrication d’une BD journalistique avec la Revue Dessinée, par exemple ?
Dans un premier temps, je reçois le texte de l’enquête menée par le ou la journaliste, dans un format proche de l’article de presse mais non finalisé. À partir de ce texte, je fais un story board, autrement dit un découpage en planches de BD, pour fournir un premier jet de narration-illustrée à la rédaction. Ce premier jet va permettre de caler le contenu journalistique dans un scénario de bande dessinée, car journaliste et scénariste de BD sont deux métiers bien différents ! Puis, à partir de là, nous faisons plusieurs aller-retours avec la rédaction, afin de peaufiner ce scénario déssiné, et avant de passer à la phase de dessin de finalisation. En tout, il faut compter trois à quatre mois de travail.
À quand remonte ton envie de faire de la bande dessinée ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire de la BD. Enfant, mes deux activités principales étaient lire des bande-dessinées et dessiner. Parmi mes lectures favorites à l’époque, il y avait Spirou, et la Rubrique-à-brac, même si j’étais encore trop petit pour bien comprendre cette dernière ! Mais ce qui me plaisait, c’était justement cette part de mystérieux, à décoder. Bien sûr, j’ai aussi été marqué par les classiques de la BD franco-belge : Lucky Luke, Tintin, etc.
Et quelles sont tes références actuelles ?
J’en citerai trois. Nicolas de Crécy, d’abord : je l’ai découvert quand j’étais étudiant et il m’a vraiment ouvert le champ de la bande-dessinée. Je n’avais jamais lu un truc pareil : avec de nombreuses couches de récits qui s’entremêlent. Cela donnait une complexité à la narration que je ne connaissais pas par ailleurs. Ludovic Debeurme, ensuite : pour la finesse du dessin, et son univers onirique et fantastique qui ressemble à ce que j’aspire à faire. Je me reconnais pas mal dans son univers. Et enfin, Blutch : pour la virtuosité de son dessin, et pour une forme d’étrangeté dans le récit. Dans l’ensemble, ces auteurs ont en commun de m’avoir ouvert à de nouvelles choses, de nouvelles façons de faire de la bande dessinée.
En tant que bédéaste, es-tu confiant dans ton avenir professionnel ?
C’est un métier difficile, laborieux, dans lequel on ne gagne pas beaucoup d’argent, et il semblerait qu’en ce moment les éditeurs resserrent un peu la vis… C’est vrai que l’avenir m’interroge. À horizon 10 ou 15 ans, je ne peux pas être certain que la BD sera encore mon gagne-pain principal. Malgré tout, je n’ai pas fini de me réaliser dans ce métier. J’aimerai beaucoup faire davantage de science fiction, à la Philippe K.Dick : travailler sur des projets de récits complexes avec plusieurs niveaux de lecture et de réalité. Donc je ne sais pas où je serai dans 15 ans, mais j’espère être en train de réaliser tous ces projets !
Le parcours de Vincent, en bref →
Après un bac Arts appliqués obtenu en 2002, à Caen, et un BTS Graphisme passé à Rouen, Vincent Sorel a rejoint la section illustration des Arts Décoratifs de Strasbourg, avec l’objectif déjà bien affirmé de faire de la bande-dessinée. Il y a validé son Diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP) en 2008. Sa première BD, l’Ours, a été publiée chez Actes Sud en 2010. Il vit et travaille à Nantes depuis 2011, au sein de l’atelier Oasis 4000.
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