Porter plainte après un viol : une décision difficile à prendre | Les Autres Possibles

Porter plainte après un viol : une décision difficile à prendre

Deux lycéennes témoignent de la difficulté à porter plainte après un viol, dont elles ont été victimes.

Un article écrit en juin 2021, par Éléna, lycéenne à Blain, avec l’aide du magazine Les Autres Possibles.

Seulement une victime sur cinq porte plainte après avoir subi un viol ou tentative de viol d’après une enquête du ministère de la Justice en 2017. Mais la réalité serait beaucoup plus alarmante : d’après la psychiatre Muriel Salmona, seulement 10% des victimes auraient porté plainte en 2017. À titre de comparaison, environ 45% des victimes de vols portent plainte, alors que la plupart ne connaissent pas leur agresseur, contrairement aux victimes de viols. Avec les autres données de l’enquête du ministère de la Justice, on conclue que seulement 0,5 % des agresseurs coupables de viol ou tentative sont condamnés. Mais dans ce cas, pourquoi les victimes de viol sont-elles si réticentes à porter plainte, alors qu’elle ont moins de mal à en parler à des proches ?

« J’avais juste envie d’oublier »

Zoé a été victime de viols et agressions pendant plus de six ans, et bien qu’elle n’ait pas été voir la police, elle ne l’a pas gardé pour elle très longtemps : « J’en ai parlé la première année, en CP, mais mes amies m’ont juste trouvée bizarre, donc j’ai arrêté », raconte-elle. « J’ai commencé à en reparlé quand ça s’est arrêté, en quatrième. D’abord à une amie, puis à une amie adulte, puis à une prof, et il y a peu, à ma mère. J’ai eu du mal à le dire à ma mère, parce que j’avais peur du cliché de la famille qui va juste renier tout ça. »

Contrairement à elle, Julie* ne l’a dit que très récemment, à une amie à elle. « J’avais six ans, et c’est arrivé une fois ou deux. Je n’avais pas envie d’en parler, je voulais juste oublier. Je l’ai dit uniquement parce que j’en avais envie, mais c’est du passé. »

« En tant que victime, on a peur qu’on ne nous croit pas », témoigne une des lycéennes.

Ainsi, même si raconter ce qui leur est arrivé à un proche est difficile, on voit que beaucoup de personne le font tout de même. Mais alors pourquoi le taux de plainte est si bas ?

« On nous écoute tellement peu que ça ne me donne pas envie d’aller porter plainte »

Pour Julie, porter plainte n’est pas une possibilité : « J’ai pas envie d’avoir à subir la pitié ou le jugement des gens, ou même des policiers. J’ai peur de leur réaction, et je ne ressens pas le besoin d’en parler. D’après moi, c’est déjà trop tard, j’étais petite. Et puis, je n’ai pas envie de sentir que l’on ne me croit pas : les souvenirs d’une enfant, souvent c’est pas ce qu’on écoute le plus. »

Zoé, elle, n’a pas tout à fait le même ressenti : « J’en ai parlé à ma mère, parce que j’avais un besoin d’action, de résultats concrets, ce que ma psy ne pouvait pas m’apporter. Quand on combat quelque chose comme ça, on a le droit à aucune pause, donc c’est épuisant ». Pour ce qui est de porter plainte, Zoé raconte que ça reste une possibilité pour elle, mais qu’elle ne pense pas le faire, en tout cas pas maintenant. « On nous écoute tellement peu que ça ne me donne pas envie d’aller porter plainte. Ce serait trop de douleur pour trop peu de résultats : raconter à nouveau tout ce qu’il s’est passé, me remémorer et replonger dans ce que j’ai essayé de dépasser avec ma psy, tout ça pour pas grand chose puisqu’il ne sera probablement pas condamné : il n’y a pas assez de preuves et ça remonte à trop longtemps. »

« On a très peur en tant que victime, alors que ce n’est pas à nous d’avoir peur »

Pour Zoé, les difficultés à porter plainte s’expliquent : « Il y a toujours une part de jugement, et même si c’est pas volontaire ou méchant, on ne se rend jamais compte de ce que ça coûte de « seulement » en parler. »

« J’ai pas envie d’avoir à encore subir des réactions comme ça, et d’entendre la fameuse question de « pourquoi t’es pas allé.e porter plainte plus tôt ? » », explique Zoé. « Les gens ne se rendent pas compte que c’est un travail monstre de réaliser déjà ce qui nous est arrivé, de réaliser qu’on ne peut pas rester tout.e seul.e, et de faire le pas de le dire à quelqu’un de proche » affirme Zoé dans un petit soupir de découragement.

« On se sent honteux.se au début, on a extrêmement peur, et c’est ce dont les autres n’ont pas forcément conscience. Ils disent « Pourquoi t’y est pas allé.e directement ? Pourquoi t’en a pas parlé plus tôt ? ».  Autre explication avancée par la jeune femme : une forme de déni qui déclenche de l’amnésie pour se protéger d’un traumatisme.

La peur d’être jugé.e, de ne pas être entendu.e, qu’une plainte ne serve à rien, est omniprésente pour les victimes. D’après Zoé, la peur doit changer de camp : « On a très peur en tant que victime, peur que ça recommence, peur qu’il y ait des représailles, peur qu’on ne nous croit pas. Alors que ce n’est pas à nous d’avoir peur. »

* : Prénom modifié pour conserver l’anonymat.

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