Gaspillage alimentaire : des producteurs locaux vent debout contre le gâchis | Les Autres Possibles

Gaspillage alimentaire : des producteurs locaux vent debout contre le gâchis

Certains producteurs locaux, attristés de gaspiller le fruit de leur travail, ont trouvé le moyen de lutter contre le gâchis via le glanage, une meilleure distribution ou même une appli.

Paru en février 2018
Par Marie Roy
Photo : Guy Gicquel, producteur, vend des paniers qu’il aurait jeté, à prix cassés, grâce à Too good to go. (© Stéphane Mahé/Les Autres Possibles)
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Tous les ans, près de dix millions de tonnes de produits alimentaires sont gaspillés en France. Parmi eux, de nombreux fruits et légumes, abandonnés dès leur récolte car trop moches, pas de la bonne taille, ou produits en surnombre, bien qu’ils soient tout à fait consommables… Une aberration pour Louis Vinet gérant de l’exploitation maraîchère Clos de la Fontaine, à Bouguenais, qui a décidé de faire appel à Re-Bon.

Cette association nantaise, montée en 2012, coordonne un réseau de glaneurs : des bénévoles qui se déplacent jusqu’aux champs pour ramasser eux-mêmes les fruits et légumes à priori destinés à la destruction. Après sa récolte, Louis Vinet a juste à les prévenir. Les aliments sauvés sont ensuite redistribués à la Banque alimentaire ou la Croix-Rouge.

Glaner les choux

Par ce biais, le producteur de 42 ans fait don de 10 à 12 tonnes de concombres et de 750 kg de tomates chaque année. « La dimension anti-gaspillage me motive, parce que je ne comprends pas que des gens puissent encore mourir de faim en France » .

L’intérêt est aussi économique puisque le glanage évite à l’exploitant de faire appel à une société de compost pour nettoyer le champ après les récoltes : « Le traitement d’une tonne de déchets verts me coûte 24 € », souligne Louis Vinet. Pourtant, lorsqu’il discute de ses pratiques avec ses confrères, des réflexions lui sont parfois adressées : « On m’a dit que je tuais le marché. Mais je ne crois pas que les plus démunis soient une concurrence à ma clientèle. Ces personnes n’auraient, de toute façon, pas acheté mes produits. »


« On m’a dit qu’en préférant donner au lieu de jeter, je tuais le marché. »


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À la mode de chez nous

Depuis les débuts de Re-Bon, 25 tonnes de fruits et légumes ont pu être sauvés, chez les 18 maraîchers partenaires. Pour bien faire, les glaneurs doivent être réactifs dès qu’un producteur appelle : « Il faut être sur le terrain très vite pour ne pas que ça pourrisse. Si c’est de la salade, par exemple, on ne peut pas la laisser cinq jours dehors. Et puis, il faut rendre le champ au producteur » souligne Marion Pennarguear, membre de Re-Bon.

L’asso ne manque pas de bras pour les glanages mais peine à en organiser de nouveaux, faute de temps. Car il reste du monde à convaincre sur le territoire… « La plupart du temps, les producteurs ne sont pas contre. Mais on constate que ce sont plus souvent les associations qui viennent vers eux. »

Adélaïde Rivereau, chargée de mission économie circulaire, alimentaire et du projet européen Food Heroes pour la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire, soulève une autre problématique : « Comme les agriculteurs font tous face aux mêmes aléas climatiques et que les productions sont cycliques, les exploitations vont toutes faire appel au réseau de glanage au même moment pour faire don des mêmes fruits ou des mêmes légumes ». Résultat : un effet de saturation dans les réseaux de dons alimentaires qui vont, à leur tour, avoir du mal à tout absorber, faute de moyens logistiques (transport, chambre froide, etc).

La (M)AMAP des poissons

Pour réduire le gaspillage, d’autres producteurs préfèrent faire évoluer leur façon de commercialiser. C’est le cas de quelques pêcheurs de L’Île-d’Yeu qui se sont organisés pour appliquer le principe des AMAP de légumes (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) au produit de leur pêche. Au lieu d’un panier de légumes, c’est une caisse de poisson que les adhérents s’engagent à recevoir chaque mois, de 2,5 kg à 4 kg, pour 34 €.

Le gaspillage a été l’une des principales motivations des pêcheurs : « Il y a quelques années, la situation était dure pour nous. La marchandise qui ne se vendait pas partait à l’OP (Organisation des producteurs), une structure qui rachète la pêche à un prix minimum garanti, mais qui détruit ou jette le poisson ensuite », indique Bruno Orsonneau qui chapeaute l’organisation des AMAP de poissons.

La deuxième source de gaspillage en France a lieu au moment de la production avec 32%, la première étant lors de la consommation avec 33% (chiffres ADEME 2016). (© Stéphane Mahé/Les Autres Possibles)

À l’époque, en évoquant leurs difficultés autour d’eux, les pêcheurs réalisent que la plupart des consommateurs trouvent le poisson trop cher : « Alors que de notre côté, ça partait à la poubelle ! On a décidé de rééquilibrer l’offre et la demande ». Bruno Orsonneau précise : « Il y a aussi un gain économique : en une année, les bénéfices des AMAP de poissons représentent un 13e mois et demi pour les 23 pêcheurs participants. »

L’initiative regroupe quatre navires : « Nous avons commencé en 2010 avec six points de vente, nous en sommes à 18 aujourd’hui. Le bilan est très positif et nous sommes à notre capacité maximum pour la pêche que nous pouvons consacrer à ce mode de distribution, déclare fièrement Bruno Orsonneau. En tout cas, cela fait quatre ans que nous n’avons pas fait appel à l’OP. »

Une situation qui s’est également améliorée grâce à la mise en place des quotas européens. Ils fixent la quantité maximale de poissons d’une espèce pouvant être prélevée sur une zone durant une période limitée, sans menacer la ressource. L’équation est simple : moins de pêche = moins de gâchis.


« Il y a un gain économique : en une année, les bénéfices représentent un 13e mois et demi pour les participants. » 


L’appli qui sauve les aliments

Nouvelle arrivée côté distribution, l’appli To Good to Go, permet elle aussi de lutter contre le gaspillage. Cette plateforme met en relation les structures ayant des invendus (boulangeries, restaurateurs…) et de potentiels clients de façon très réactive, au jour le jour. 4 405 personnes sont inscrites sur l’application et 5 370 repas ont été sauvés depuis que Too good to go a été lancé dans l’Ouest, fin 2016.

Guy Gicquel, maraîcher bio, à Legé, y a recours depuis juillet 2017. Il a innové en y proposant des produits non transformés, des pommes de terre difformes ou des salades abîmées par le gel de la veille. Il prépare des paniers de légumes invendus pour les utilisateurs de l’application. « La valeur d’un panier est normalement de 13 €, mais je les fais à 5,50 €.

Le site prend 1 € sur chaque vente. » Surpris de la diversité des utilisateurs « de toutes les classes sociales », le producteur se réjouit de l’avantage économique que représente, en plus, Too Good to Go : « Ce seraient des légumes qu’on n’aurait pas vendus sans l’appli. Depuis mon inscription, j’ai gagné 5 000 €. Tout le monde est gagnant. »

 

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