Loi anti-fast-fashion : où en sommes-nous ? | Les Autres Possibles

Loi anti-fast-fashion : où en sommes-nous ?

Après plusieurs rebondissement et reports à l’agenda du Sénat depuis mars 2024, la loi anti-fast-fashion qui vise à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile a été votée par le Sénat le 10 juin. Le texte de loi définitif ne devrait pas voir le jour avant plusieurs mois.

Article publié le 1er juin 2025, dans le numéro #47 des Autres Possibles
Mis à jour le 11 juin 2025
Par Marie Le Douaran

Le 14 mars dernier, des membres du mouvement Stop fast-fashion ont déposé dix tonnes de vêtements devant le Palais Bourbon, afin de réclamer l’adoption par le Sénat de la loi dite anti-fast-fashion, visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile. Dix tonnes… L’image est saisissante, ce n’est pourtant qu’une goutte d’eau au regard de ce que l’industrie de la mode produit chaque année : 100 à 150 milliards de vêtements neufs, représentant à eux seuls 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. C’est bien pour tenter d’enrayer cette course effrénée que Stop fast-fashion milite depuis des mois. Et arrive bientôt à ses fins ? Pas si sûr. Le texte sera examiné en ce mois de juin 2025, mais pour quel résultat ?*

Un an pile avant cette action, le 14 mars 2024, la lutte contre ce désastre écologique avait pourtant fait un premier pas encourageant, avec l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale de plusieurs mesures pour freiner le développement de la fast-fashion et de l’ultra fast-fashion en France. Si le phénomène a commencé dans les années 1990 avec des enseignes phares comme Zara ou H&M, il a pris un nouveau tournant avec l’arrivée de sites comme Amazon, Shein ou Temu, qui proposent toujours plus de nouvelles références – jusqu’à 7 000 par jour pour Shein –, de piètre qualité, à la faveur de conditions de travail déplorables en Chine ou dans le reste de l’Asie. Comment espérer ralentir ces mastodontes ? En tapant là où ça fait mal : sur les prix, très bas, et la visibilité sur les réseaux sociaux, très haute. La proposition de loi initiale prévoyait donc l’interdiction du recours à la publicité, y compris le partenariat avec des influenceur·euses, l’obligation d’afficher des messages incitant à la réparation et au réemploi, et un système de bonus-malus allant jusqu’à augmenter le prix de 10 euros par vêtement, en fonction de son empreinte écologique. Oui, mais voilà : le texte, qui devait passer devant le Sénat en juillet 2024 a pris un an de retard.

Sur son site, Reporterre retrace tous ces petits empêchements qui ont bloqué le texte : la dissolution de l’été 2024, le gouvernement Barnier, qui chute en quelques mois, puis le gouvernement Bayrou, qui préfère en repousser l’examen. Prévu pour mars 2025, il a brusquement disparu de l’agenda du Sénat, avant d’y être réinscrit. De quoi donner le temps à certaines marques d’organiser la contre-offensive… Le média Cm-cm.fr, spécialisé dans la seconde main, a révélé que Shein s’était rapproché de député·es en amont du vote à l’Assemblée, et rappelle que le site s’est offert les services de Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur, en l’intégrant à son comité responsabilité sociale et environnementale (RSE), et de l’ex-conseiller ministériel Thomas Urdy, pour gérer les « affaires gouvernementales », autrement dit : le lobbyisme. Épaulées par le groupe Havas et ses agences spécialisées en communication de crise et en « batailles culturelles » – entités de la galaxie Bolloré –, de vastes campagnes font la part belle au greenwashing et instrumentalisent la lutte des classes avec un manifeste qui promet une mode durable et accessible, et qui assure soutenir l’objectif ambitieux d’une telle loi.

Ne nous y trompons pas : cette loi couplée à la refonte de l’Union douanière européenne – qui prévoit le rétablissement de droits de douane pour les colis d’une valeur de moins de 150 euros expédiés depuis les pays hors UE – peut noircir l’horizon de la fast-fashion. Du moins, le rendre un peu moins radieux. Mais Stop fast-fashion estime que le texte a d’ores et déjà été « vidé de sa substance » par la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. En cause, entre autres, la redéfinition de la fast-fashion en fonction du nombre de modèles, et non plus du nombre de vêtements fabriqués : une façon plus ou moins habile de cibler les géants de l’ultra fast-fashion tout en épargnant d’autres enseignes françaises ou européennes comme Decathlon, La Redoute, Zara, C&A…

Adoptera ? Adoptera pas ? À l’heure où nous publions ces lignes, nous ne connaissons pas le fin mot de l’histoire. Quoi qu’il en soit, les principales modalités devront encore être fixées par décret, donc aisément modifiables. Et, d’ici là, Shein et consort auront produit des millions de nouveaux vêtements.

*Edit du 11 juin 2025 : Le Sénat a voté mardi 10 juin la proposition de loi contre l’essor de la fast fashion. Mais l’affaire n’est pas faite : député·es et sénateur·rices doivent maintenant s’accorder sur le contenu du texte de loi, avant sa mise en application. Une commission de travail est prévue à la rentrée 2025.