"La littérature jeunesse aussi peut faire passer des valeurs, des idées politiques, comme le féminisme" | Les Autres Possibles

« La littérature jeunesse aussi peut faire passer des valeurs, des idées politiques, comme le féminisme »

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Chaque numéro des Autres Possibles est illustré par un·e artiste nantais·e différent·e. L’occasion de découvrir le travail des graphistes, illustrateur·rices et peintres locaux, mais aussi d’en apprendre plus sur leurs parcours et leurs inspirations dans une interview publiée ici lors de la sortie de chaque nouveau numéro.

Publié le 21 septembre 2021
Par Marie Bertin
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Depuis peu, Claire ose le dire : elle est “autrice – illustratrice”, car ça y est, elle écrit et dessine ses propres livres jeunesse ! On lui doit notamment la sortie, en 2017, du livre Le gravillon de pavillon qui voulait voir la mer, et en 2021 d’Une nuit à Insect’Hôtel aux éditions Les fourmis rouges. Cette bretonne de 37 ans, d’abord graphiste, est aussi la co-fondatrice des Éditions FP&CF, une maison associative qui réunit des artistes et graphistes curieux de produire des ouvrages inédits sous des formes originales. Autrice – illustratrice, graphiste, et éditrice passionnée, donc !

Ça a commencé comment, pour toi, le dessin ?

Mon père est dessinateur de presse, donc j’ai toujours baigné là-dedans, mais sans imaginer en faire mon propre métier au départ. Je n’avais pas non plus une pratique très importante. Puis un jour, il m’a emmené aux portes ouvertes de deux écoles d’arts appliqués à Paris, et ça a été déclencheur : ça a rendu les choses concrètes, possibles. En voyant des gens de mon âge passer leurs journées à créer, le métier devenait palpable et désirable. 

Au départ, je voulais devenir affichiste, comme les peintres et dessinateurs André François, Tomy Ungerer, ou Raymond Savignac. C’est pour ça que je me suis orientée vers un BTS communication visuelle. Mais finalement, le graphisme ne m’a pas suffi. Et j’ai été peu à peu vers ce qui m’attirait le plus : le dessin et les livres pour enfants, notamment à cause de Babette Cole, l’une des rares femmes autrice de livres jeunesse, que je pouvais trouver dans ma bibliothèque à l’époque de ma propre enfance. 

© Claire Schvartz, Une nuit à Insect’Hôtel

Dans tes livres pour enfants, tu donnes vie à des personnages souriants et expressifs, aux traits simples, avec de grands yeux ronds, souvent des animaux… As-tu particulièrement travaillé ton style pour devenir dessinatrice jeunesse ? 

En fait, je suis un peu nulle en dessin ! Quand j’essaye de faire du réalisme, comme du dessin d’architecture par exemple, je fais l’inverse. Pendant mes études, on me disait souvent que j’avais un dessin très expressif, vraiment fait pour la littérature jeunesse. Et aussi que je ne dessinais qu’en 2D. Et puis on se nourrit de ce qui nous plaît… Donc je n’ai pas eu d’efforts particuliers à faire pour adapter mon dessin à la littérature jeunesse. Elle a toujours été là. J’essaye également d’étendre mon trait à un univers plus adulte.   

Qu’est-ce qui te passionne tant dans l’édition jeunesse ?

D’abord, c’est un amusement. La meilleure phase, c’est le début du projet, celle où on esquisse les premiers dessins, les premières idées. Ensuite, que ce soit une littérature qui se partage, surtout quand les enfants ne savent pas encore lire. C’est très intéressant à composer : je peux y mettre des choses à la fois pour eux et pour les adultes qui les accompagnent. Ce qui permet aussi que les enfants puissent les redécouvrir plus tard. Donc quand j’écris, j’essaye à la fois de me souvenir de ce qui m’animait quand j’étais petite, ma façon de voir le monde, et de penser à ce qui me fait sourire et m’intéresse aujourd’hui.

C’est aussi un éveil à la lecture, à la littérature ! Et je trouve génial de pouvoir faire passer des choses importantes pour moi, de transmettre à travers le livre pour enfant. Ça peut être toutes sortes de choses : de la simple sensation, des plaisirs, comme dans Un gravillon de pavillon, où je parle de l’envie de voir la mer, de l’amitié, de réussir à faire des projets à deux, quand c’est mal parti… Ou dans L’hôtel à insectes, dont le décor me permet de faire passer une sensation marquante de mon enfance : dormir avec mon frère, qui était quelque chose de très rassurant. Mais on peut aussi faire passer des valeurs, des idées plus politiques, comme le féminisme par exemple.  

© Claire Schvartz, Une nuit à Insect'Hôtel
© Claire Schvartz, Une nuit à Insect’Hôtel

Donc la littérature jeunesse, c’est très sérieux, finalement…

Oui, et cela peut même être un soutien très précieux du quotidien. Quand ma fille aînée a été malade, et qu’on a dû faire des séjours répétés à l’hôpital… les livres jeunesse étaient là pour nous permettre de nous évader. On a lu beaucoup, beaucoup de livres à ce moment-là. Et ils peuvent aussi aider à aborder des sujets importants, de façon moins brutale, moins directe. Ce n’est pas juste du loisir, en tout cas pas toujours. Au-delà de la littérature jeunesse, c’est l’art, en fait, qui est ce soutien. Il semble parfois être une pratique très égocentrée, mais ce n’est pas seulement ça. La littérature jeunesse illustre bien, justement, cet apport de l’art dans la vie quotidienne. Elle est importante.   

Tu dessines et tu écris désormais tes propres albums jeunesse : être à la fois autrice et illustratrice d’un ouvrage, est-ce important pour toi ?

Oui car quand j’écris, je suis plus engagée dans ce que je fais. Il m’arrive aussi de ne faire que dessiner, mais il faut quand même que je me retrouve dans le texte, personnellement. Dans l’ensemble, j’aime beaucoup mener un projet d’un bout à l’autre, et cela comprend aussi l’après édition : quand le livre est sorti, je participe régulièrement à des ateliers autour de l’ouvrage avec les enfants, dans les écoles. 

Ce sont des temps d’échange très riches : souvent, les instit’ ont pris le temps de travailler autour du livre en amont et les enfants sont à fond, ils ont beaucoup de questions ! Donc on échange, puis on crée ensemble, par exemple une petite histoire en 3 cases. Si on a le temps, on réalise un mini fanzine. Voir mon livre dans les mains des enfants, comprendre comment ils s’emparent de tout ça, c’est très précieux. Ça donne du sens à ce que je fais.   

© Claire Schvartz

Tu as également cofondé les éditions FP&CF, peux-tu nous les présenter ?

Nous les avons montées avec mon compagnon après avoir découvert les très intéressantes éditions Loeil Electrique. Elles n’existent plus aujourd’hui, mais c’est ce qui nous a donné envie de nous lancer à notre tour. On a commencé en créant une première revue photographique participative, Tell mum everything is ok*. 

On voulait sortir des photos amateurs d’internet, les réunir pour créer une narration et valoriser leurs auteurs. Ça a été un succès, on en a fait plusieurs numéros par la suite. Cette pratique éditoriale, c’est ce qui m’a permis d’auto-éditer et dessiner mon premier livre jeunesse, Fourmi Zombie, écrit par Églantine. Puis de rencontrer mon éditrice actuelle : Valérie Cussaguet des Fourmis rouges.

© Claire Schvartz
© Claire Schvartz

Tu es maman de deux enfants depuis peu : est-ce que tu es d’accord pour parler de la façon dont tu concilies ton travail d’autrice-illustratrice et ta casquette de mère ?

Oui, je suis d’accord ! Je pense que c’est très important d’en parler. On segmente souvent les choses alors que finalement, c’est lié. Je savais que ce serait dur, car dans notre société actuelle, la parentalité repose encore beaucoup trop sur les femmes, et trop peu de moyens sont alloués pour rendre la période du post-partum agréable et partagée. Pour me protéger, je me suis mise au ralenti au début. 

J’ai fait moins de projets, mais je n’ai pas arrêté totalement non plus. Pour moi, c’est ce qui a été la clef : ne pas perdre le fil, ne pas s’oublier totalement, avoir toujours un projet en cours, tout en acceptant que c’est fatiguant pour le corps et l’esprit, qui ont besoin de temps. J’ai finalement trouvé un rythme, un entre-deux, qui m’a permis de profiter un peu de tout, malgré tout. Je n’en suis qu’au début, mes deux filles ont moins de quatre ans, mais je peux déjà dire que la vie de famille et la vie professionnelle artistique ne sont pas faciles à concilier, les temporalités et horaires sont à l’opposé. 

Ça commence avec le congé maternité trop court, celui du père je n’en parle même pas, et cela continue par exemple avec les résidences qui sont carrément inaccessibles pour les parents à moins de quitter sa famille pour quelques mois. Rien n’est mis en place pour aider les artistes-parents. Alors quand on le veut vraiment, on s’adapte, on travaille parfois moins et donc on a moins d’argent mais on profite plus de ses enfants, on fait mais différemment et sur plus de temps !

Le parcours de Claire, en bref 

Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’arts Estienne en 2006, puis de l’école Olivier de Serres en 2018, Claire finalise ses études de graphisme par un stage au sein du studio OS-B Design de Londres. Cette même année, en 2019, elle co-fonde à Paris la maison d’édition associative les Éditions FP&CF.

Spécialisée dans le graphisme culturel, elle fonde aussi en parallèle son propre studio avec trois amis, Le Grand Atelier, et répond collectivement à des commandes jusqu’en 2017, date à laquelle elle quitte Paris pour s’installer à Nantes en tant qu’indépendante. À son arrivée, elle réalise une résidence de création au sein de la maison de quartier Madeleine Champ de Mars, qui lui permet de lancer de nouveaux projets d’album jeunesse.
En 2018, elle est lauréate du Prix révélation littérature jeunesse de l’ADAGP et partage son temps entre l’écriture, l’illustration et le graphisme éditorial principalement.

*Dis à maman que tout va bien

 

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