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Dans les marais de Guérande, des paludiers gardiens de la galac’sel

Le ramassage du sel solaire sur bache, sechage du sel. Site salicole de Marara.

Gathering the sun salt on the plastic covering, the bache, and drying of the salt. Marara village.

Crédit : UniverSel

Si le sel de Guérande s’exporte dans le monde entier, les paludiers n’ont jamais relégué les valeurs humaines et environnementales de leur savoir-faire. Ils les diffusent, elles aussi, au-delà des frontières.

Publié en février 2018
Par Marie Bertin
Photo : La saliculture solaire sur bâche, une transmission des paludiers guérandais en Guinée-Conakry. (© UniverSel)
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« Il n’y a pas plus naturel que la récolte du sel : du soleil, du vent, de l’eau de mer, de l’argile et de l’huile de coude ». Grégory Pitard est paludier et administrateur aux Salines de Guérande. Née d’une dizaine de membres au départ, cette coopérative réunit aujourd’hui 210 adhérents et une cinquantaine de salariés. Chaque été, les adhérents y apportent leur récolte pour la mettre en commun. Que celle-ci soit abondante ou rare (selon la météo), la coopérative assure à chaque paludier un prix d’achat du sel garanti et proportionnel à l’apport de chacun. Résultat : un chiffre d’affaires s’élevant à 22 millions d’euros en 2016 et une exportation de 17 % de la production dans le monde entier, par bateau ou fret routier. Une intensification de l’export depuis 2006 qui peut poser question quant au souci écologique de la filière… « La seule vente locale n’a pas de sens pour du sel car c’est un produit qui ne se vend qu’en petite quantité, justifie le producteur Olivier Pereon. Nous consommons 3 grammes de sel par jour, soit 1 kilo par an. Or chaque paludier produit environ 60 à 100 tonnes de sel par an, de quoi couvrir les besoins de 100 000 personnes. Si nous voulons pouvoir vivre à 300 sur le marais, adhérents de la coopérative et indépendants compris, nous ne pouvons pas tous être au plus près du consommateur, certains doivent exporter ! »


« La technique d’irrigation des paludiers guérandais a contribué à améliorer la gestion de l’eau des rivières guinéennes.« 


Des racines et du sel

Une spécificité qui ne date pas d’hier : si tout le monde a besoin du sel, il n’est pas produit partout. « Déjà dans le passé, le sel de Guérande était vendu pour les salaisons de poissons dans les pays du Nord, il a toujours été exporté », précise Grégory Pitard. Il l’affirme toutefois, si les méthodes de commercialisation ont évolué, les gestes de récolte du sel à la main perdurent. Une condition sine qua non du respect de l’équilibre écologique des 2000 hectares de marais, classés site naturel depuis 1996, reconnu zone humide d’intérêt international et Natura 2000.

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Pascal Donini, qui a fait, de son côté, le choix de rester paludier indépendant, insiste : c’est grâce au développement de l’activité que la situation écologique a pu s’améliorer. « Il y a même plus de respect pour l’environnement aujourd’hui que dans le passé. En raison notamment de l’exigence des labels comme Nature & Progrès, qui contrôlent la faune et la flore locale« . Déjà en 1972 , les préoccupations du groupement de paludiers, formé pour relancer l’activité et créer la coopérative, étaient en partie environnementales : il s’agissait de faire front face aux promoteurs immobiliers convoitant la zone. Malmenés dans les années 60, les marais avaient fini par servir de décharge publique. La reprise de l’activité a bénéficié au lieu, sans l’abîmer davantage : « La récolte du sel a cet avantage de n’avoir jamais nécessité d’intrant, ni engrais et pesticide, et le métier s’est très peu mécanisé », explique Olivier Pereon. Ajoutons que le sel guérandais doit son succès à son absence de traitement chimique, contrairement aux sels industriels raffinés.

Sel au monde

Ce souci environnemental ne s’arrête pas aux frontières locales. Une poignée de paludiers, militants des premières heures, a décidé en 1989 de lancer des actions de solidarité en Afrique de l’Ouest en créant l’association Univers-Sel. « Lors d’un voyage au Bénin, Alain Courtel, le fondateur de l’association, a été marqué par la déforestation provoquée par la production de sel. Nous étions alors dans une dynamique de préservation du site de Guérande et nous nous sentions dépositaires d’un savoir-faire artisanal respectueux de l’environnement. Cette ouverture vers l’international allait de pair avec notre engagement », explique Olivier Pereon, aujourd’hui président de l’association.


« Nous nous sentions dépositaires d’un savoir-faire artisanal respectueux de l’environnement. »


Au Bénin, mais aussi en Guinée-Conakry et en Guinée-Bissau, pour obtenir du sel, les producteurs locaux chauffent l’eau avec le bois de mangrove. Or il faut trois tonnes de bois pour obtenir une tonne de sel. À cela, s’ajoutent des conditions de travail très dures pour les récoltants, qui risquent la déshydratation pendant la cuisson. UniversSel leur propose depuis une alternative peu coûteuse : des bâches sur lesquelles les cristaux de sel se forment au seul contact des rayons du soleil. Le bénéfice n’est pas uniquement environnemental avec la régénérescence de la mangrove. En évitant de donner la corvée de bois à leurs enfants, les producteurs peuvent également les scolariser. Les connaissances des paludiers guérandais en techniques d’irrigation ont par ailleurs contribué à améliorer la gestion de l’eau dans les rizières voisines, œuvrant ainsi à la sécurité alimentaire. Qu’il se déroule sur la côte africaine ou guérandaise, ce partage des pratiques agro-écologiques est au cœur du métier traditionnel de paludier. Par leurs actions, les militants impliqués dans Univers-Sel ont permis à ce jour de préserver plus de 1 000 hectares de forêt en Afrique de l’Ouest, et de réhabiliter ou d’aménager près de 10 000 hectares de rizières. ♦

 

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