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Les cafés nantais, fermés mais pas (encore) morts !

Le monde d’après se fera-t-il sans bistrots ? Pour faire face au vide intersidéral de leurs caisses pendant le confinement, les bars nantais n’ont pas le choix : cagnottes de dons, pré-vente, vente à emporter… Ils en appellent à la solidarité de leurs habitués, alors que l’avenir reste très incertain.

Par Marie Bertin
Publié le 4 mai 2020
Photo : Un concert sauvage, terrasse du Ferrailleur, été 2016, à Nantes. (Archive : Jeanne La Prairie)
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“Il faut se rendre à l’évidence, Mon Oncle ne va pas bien…” C’est avec ces quelques mots que Pierre Surun, alias Tonton, le gérant du bar nantais de la rue d’Alger, lançait il y a deux semaines un appel aux dons en ligne pour faire face à la situation inédite que lui, comme tous les bistrots de Nantes et de France, vivent depuis le début du confinement. “C’est simple, le bar n’a aucun revenu en ce moment, mais des factures qui tombent : loyer (950€), fournisseurs, comptable, etc, expose le gérant. Sachant qu’habituellement, il faut 2000 € de chiffre d’affaire par semaine pour être tout juste à l’équilibre.” 

Heureusement pour lui, Mon Oncle est un bar qui peut compter sur ses habitués, auxquels les lieux appartiennent presque tout autant. “Quand j’ai lancé mon appel à dons, la troupe d’impro Les Berlingots, qui joue régulièrement ici, m’a appelé : ils avaient déjà lancé une cagnotte en ligne pour Mon Oncle, de leur côté ! Un couple qui s’est rencontré ici a fait un don de plusieurs centaines d’euros…  J’ai reçu des coups de fils, des courriers, du soutien financier et moral au delà de ce que j’espérais.” Cagnotte sur cagnotte, dons sur dons, en deux semaines, le bar a récolté des milliers d’euros : “3000, la première semaine, et je n’ai pas encore fait le point sur la suite. Désormais ça devrait aller. Je pensais pouvoir payer uniquement les factures urgentes, mais je vais pouvoir payer les autres aussi.”

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Apéro en prévente ou à emporter

Une autre solution pour les bistrots : proposer à leurs clients d’acheter des bons d’achat maintenant, pour venir les dépenser une fois le lieu réouvert. C’est ce que permet la plateforme Jaimemonbistrot.fr. On y retrouve une cinquantaine d’établissements nantais, bars et restaurants, parmi lesquels Le Louis Blanc, Le Rabelais, ou encore Mr Machin. Mais Mon Oncle a préféré se tenir à l’écart : “Proposer des bières à acheter en avance, c’est une bonne idée oui, mais ça reste une dette. Ça alimente la trésorerie sur le moment, mais ça fera un trou au moment de la réouverture. Si je peux éviter, je préfère.” Le gérant a bien maintenu quelques ventes, mais sur un autre mode : il propose uniquement les bières de Charlotte, micro-brasserie nantaise, et les vins de trois producteurs locaux à la vente à emporter. 

C’est aussi le choix du Brocéliande, café-restaurant rue Préfet Bonnefoy, qui peut compter lui aussi sur ses clients réguliers. Depuis trois semaines, Véronique Boutry, la patronne, propose ses bouteilles de vins nature à emporter au tarif caviste. “J’ai vendu environ 500 bouteilles pour l’instant. En quantité, ce n’est pas si loin de ce que l’on écoule d’habitude. ça m’a vraiment réchauffé le coeur de voir les gens arriver. Avant ça, j’étais un peu perdue.”


« Et si la fréquentation n’est pas au rendez-vous ensuite ? »


Emprunter ou ne pas emprunter ?

Car malgré la solidarité, la situation reste difficile. Pour faire face, Le Brocéliande qui compte 11 salariés tous au chômage partiel, n’a pas eu le choix : “J’ai demandé un prêt garanti par l’Etat de 100 000 euros pour pouvoir avancer les salaires, éponger les dettes auprès des fournisseurs. Ça couvre deux mois de chiffre d’affaires.” La gérante ne se verse plus de revenu, mais estime quand même avoir de la chance. “D’après les retours que j’ai des uns et des autres, il n’est pas si facile d’obtenir un prêt. Le Brocéliande a 15 ans d’existence, ça a aidé.”

Reste que contracter une dette, c’est exposer un avenir déjà très incertain. “Moi c’est surtout la suite qui m’inquiète, confie Dominique Belliard, gérant du Rouge Mécanique et unique personnel de son bar. Pour l’instant ça va, j’avais un peu de trésorerie d’avance et j’ai obtenu une aide de mon assurance. Mais ensuite… Pourra-t-on réouvrir ? Et dans quelles conditions ? » Pour lui, pas question de réemprunter. « J’ai ouvert il y a cinq ans, je commençais juste à en sortir. Et si la fréquentation n’est pas au rendez-vous ensuite ? Si les concerts qui font vivre le lieu ne sont plus possibles ? S’il faut réduire le nombre de personnes en terrasse par mesure de distanciation ? La mienne fait 25 places, si elle est drastiquement réduite, ce ne sera pas rentable.” 

Le Rouge Mécanique à Nantes a tout juste cinq ans. (Crédit : Le Rouge Mécanique)

Selon les annonces du gouvernement, les dates de réouvertures pour les bars et restaurants ne seront connues que fin mai. “Et cela dépend toujours de l’évolution de l’épidémie, note le gérant. Ce que j’espère surtout c’est que les gens reviennent après tout ça. Je compte quand même beaucoup sur l’été. En juillet, j’envisage même d’ouvrir 7 jours sur 7. Il faudrait également remettre de la vie dans nos rues, faire jouer des musiciens, des artistes, qui en ont bien besoin eux aussi.” 

30 à 40% de fermetures

Cette idée, Dominique Belliard l’a soumise au Collectif Culture Bar-bars, la fédération française des cafés cultures, qui regroupe, entre autre, une centaine de lieux nantais. Sa tâche, en ce moment, est en grande partie une mission de sauvetage : elle estime entre 30 et 40% le risque de fermetures définitives dans le secteur. “C’est notre déduction après avoir croisé les analyses de fournisseurs, de syndicats et nos propres observations”, explique Denis Talledec, le directeur du collectif. Pour éviter les dépôts de bilan, on souhaite une reconnaissance en catastrophe naturelle, pour que le secteur des assurances assume sa part. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles refusent encore d’intervenir. On demande également, entre autres, une annulation des charges sociales sur le long terme.” Pour la suite, “on travaille sur les protocoles sanitaires, par fiches métiers, pour que les lieux soient prêts à ouvrir dans de bonnes conditions et que le public soit rassuré.” Une campagne d’information est également prévue pour faire passer le message. 


« Il va falloir interroger la notion de proximité »


Quand à l’idée du Rouge Mécanique de ramener la vie dans les rues par la musique, le théâtre, elle préoccupe aussi la fédération.“C’est une réflexion qu’on va devoir mener. Il va falloir interroger la notion de proximité. Puisque les gros évènements seront à proscrire encore quelques temps, pourquoi ne pas imaginer de micro-évènements, pour animer, sans surcharger…”

Quoi qu’il en soit, Denis Talledec estime que les bars ne retrouveront pas dès cet été leur niveau de fréquentation d’avant pandémie. L’incertitude va donc durer et il faudra tenir : “Si jamais on ne pouvait pas rouvrir en juin, là, je ne sais pas comment je ferai, estime quand à elle Véronique Boutry du Brocéliande. Je devrai trouver à nouveau de l’argent. S’il doit être personnel, cela soulèverait de nouvelles questions : car c’est une charge qui pèserait aussi sur ma famille. Je n’ai pas encore la réponse. Je préfère ne pas trop y penser.” 

En complément

→ « Commerce mon amour », une plateforme pour soutenir les commerçants nantais dont les bistrots ou restaurants
→ Une cagnotte pour le café La Perle
→ Une cagnotte pour Le temps des copains
→ Une plateforme pour trouver son bistrot à aider
→ La carte de la bière artisanale à Nantes par l’asso Nantes Beer Club

 

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